Le col Tabla Butii a été utilisé pendant des siècles pour traverser les Carpates, les montagnes qui séparent la Transylvanie de la Muntenia, deux provinces historiques de la Roumanie. En 1916, l’armée roumaine et l’armée allemande s'y sont affrontées. Une commémoration y est organisée chaque année, le 6 août. Nous y sommes allés à deux reprises à vélo, en 2012 et 2013, pour assister à cette cérémonie. Lisez ci-dessous un petit rappel des faits historiques et le récit de nos deux balades.

Les affrontements
Au début de la Première Guerre mondiale, la Transylvanie faisait partie de l’Autriche-Hongrie. C’est pour s’unir à cette province que la Roumanie a rejoint l’Entente (France, Grande-Bretagne, Russie) en 1916, entrant ainsi en guerre contre les Puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie). Le 15 août 1916, le groupement Tabla Butii, fort d’environ 3 000 soldats, passe à l’offensive et inflige une défaite cuisante aux forces ennemies concentrées dans la zone. Malheureusement, l’offensive roumaine en Transylvanie est vite arrêtée par les troupes allemandes venues en renfort. Par la suite, les Allemands passent à l’offensive et cherchent à pénétrer en Roumanie. L'une des axes de pénétration passe par le col Tabla Buţii. Après plusieurs tentatives infructueuses du 2 au 31 octobre, les Allemands renoncent, incapables de percer les lignes défensives roumaines.


En 1919, un cimetière fut aménagé, dans lequel sont enterrés les soldats morts de tous les camps. À partir de 1922, un pèlerinage est organisé chaque année, le 6 août, sous l'égide du prêtre Ioan Stefan Vasilescu, pour commémorer les héros y tombés. Plus tard, les autorités décidèrent d'organiser des célébrations solennelles.

Le point de départ
Mes beaux-parents habitaient à Măneciu, une commune en Roumanie, composée de plusieurs villages disséminés sur les collines environnantes. La commune est située sur la rive gauche de la rivière Teleajean, sur laquelle un barrage a été construit afin d'alimenter les localités le long de son cours en électricité. Il y a environ 30 kilomètres entre la maison de mes beaux-parents et Tabla Buţii, mesurés en vol d’oiseau, mais beaucoup plus sur le terrain.

Le départ
Nous ne connaissions pas l'itinéraire, nous ignorions ce qui nous attendait et si nous allions arriver à destination. C'est pourquoi, pour la première fois, je suis parti avec Radu, mon fils aîné, et Catalin, son ami, vers Tabla Butii. Nous formions une équipe très expérimentée qui avait déjà fait de nombreuses randonnées et balades à vélo ensemble. L'année suivante, en 2013, deux autres amis de Radu et Catalin nous ont rejoints, désireux eux aussi de faire partie de l’aventure.

Et c’est parti!
La route de la maison jusqu’au barrage, environ 7 kilomètres, est facile; la même chose pour le traverser. S’ensuit une montée sur la colline qui surplombe le lac du barrage; parfois, il est difficile de monter à vélo, donc on doit descendre et continuer à pied. Une fois arrivés au sommet de la colline, la récompense est à la hauteur: une belle vue sur les environs.

Découvrons la route!
Une fois que nous avons perdu de vue le barrage, nous nous sommes aventurés sur une route que nous n'avions jamais explorée auparavant, dans l’inconnu. C'est ainsi que nous avançons à faible allure pour pouvoir admirer la nature qui nous entoure. Mais aussi pour ne pas nous tromper de route. Divers aménagements réalisés par l’homme sur la rivière située à notre droite sont visibles.

En 2013, nous étions les guides
Lorsque nous y sommes retournés en 2013, nous connaissions déjà bien cette route, que nous avions déjà parcourue à deux reprises en 2012 (dont une fois lors de la balade racontée dans l'article ‘Nature et aventure: Ciucaş sur le vélo’). Nous jouons donc le rôle de guides pour nos amis, en leur montrant la beauté des lieux et les merveilles de la forêt. Nous leur faisons également découvrir le hameau de Valea Stânii que nous traversons sur le chemin menant à Tabla Buţii.

Le barbecue
Une fois sortis du hameau, nous avons continué à avancer sur des routes forestières qui nous ont menés toujours plus près du massif Ciucas. C’est ‘notre montagne’, que nous avons déjà parcourue à pied à plusieurs reprises lors de nos randonnées. Alors que nous pédalions, l’œil sur la route et l’autre sur nos alentours, nous avons été surpris de découvrir un poteau de balisage que nous connaissions.

Nous nous sommes rapidement rappelés y être déjà venus en randonnée par le passé. Sur les quelques centaines de mètres suivants, la route menant à Tabla Buţii et le chemin de randonnée sont identiques. Au point où les deux se séparent, nous nous arrêtons pour déjeuner. Un barbecue sauvage est rapidement improvisé.

Le Col Tabla Butii - 2012
Nous nous aventurons une fois encore dans l’inconnu. Dans la forêt, nous avançons lentement pour trouver le point nommé ‘Col Tabla Buţii’, d’où part le chemin menant au site de la célébration. Comme il n'était pas indiqué, nous avançons lentement et prudemment pour ne pas le manquer. Mais la route est bonne et nous traversons une magnifique forêt, alors nous savourons le plaisir de la balade. Et nous avons de la chance: il y a déjà beaucoup de monde sur place.

Certains ont renoncé à monter la pente raide qui en suivait et ont installé leur campement au bas de celle-ci. D’autres, plus têtus, font monter leur voiture par la pente raide à la force des bras, même s’ils doivent la pousser. Nous, au moins, devons seulement pousser nos vélos, ce qui n’est pas une mince affaire, toutefois.

Le Col Tabla Butii - 2013
Cette fois, il n’y a aucun doute, nous sommes prêts. Une fois partis de la place du barbecue, nous pédalons à une vitesse de croisière en direction du col. La pente raide est bien présente, mais nous sommes plus entraînés et plus expérimentés maintenant. Elle nous pose donc moins de problèmes qu’auparavant.

Une fois arrivés en haut, nous nous émerveillons devant la beauté des paysages qui s'offrent à nous. Étant moins fatigués, ils nous semblent encore plus beaux que l’année dernière.

La descente
Chaque montée est suivie d’une descente. Plus la pente de la montée est raide, plus la descente sera rapide. Plus spectaculaire. Il y a plus d’adrénaline. Mais pas cette fois. Le site de la célébration se trouve à un niveau d’altitude proche du nôtre. De plus, notre route va se transformer en un étroit chemin de randonnée bordé par une vallée par endroits. Il faudra descendre à faible allure, contrôler le vélo, faire attention à la direction et freiner fréquemment.


Le cimetière
Nous trouvons facilement l'endroit où installer notre camp, aussi bien en 2012 qu'en 2013. Une fois le campement achevé, nous nous rendons au cimetière pour nous recueillir devant les tombes des soldats morts en 1916 en défendant leur patrie. Passionné d'histoire, je raconte aux enfants la Première Guerre mondiale: le contexte, les participants, l’évolution et l'issue du conflit. Je leur parle également de la contribution de la Roumanie au conflit et les avantages qu’elle a tirés de celle-ci, notamment l'Union qui a permis de regrouper tous les territoires habités par les Roumains dans un seul pays, la Grande Roumanie. C’est comme une leçon d’histoire et, au fil du temps, une petite foule se forme autour de nous. À la fin, surprise: plusieurs personnes, des inconnus, viennent me remercier en m'appelant ‘Monsieur Professeur’. Les enfants s’amusent follement et pour le reste de la soirée, je ne suis plus ‘papa’ ou ‘monsieur Angelo’, mais ‘monsieur le Professeur’.


Feu de camp
Le soir, nous faisons bien sûr un feu de camp, mais celui-ci sert également de barbecue. Il y a beaucoup d'autres feux de camp autour de nous, ainsi que de la musique traditionnelle, des chansons et des rythmes d'autrefois, mais aussi des rythmes modernes. Il y a de la joie et de la bonne humeur, c’est une atmosphère de fête. Notre dernière visite date de 2013. Il est probable que les festivités qui accompagnent aujourd’hui la célébration soient plus grandioses et s’étendent sur plusieurs jours.

La garde
Le 6 août, jour de la célébration, commence par l’installation d’une garde militaire devant la chapelle et le cimetière. Chaque fois que nous y sommes allés, la garde a été formée par des chasseurs alpins, unité d’élite de l’armée roumaine. Elle y restera jusqu’à la fin des festivités.

Le programme du jour
Il débute par un moment de silence, suivi d'une messe en l'honneur des héros de la bataille de la Tabla Buţii. Des représentants des autorités prononcent des brèves allocutions. Une cérémonie au cours de laquelle des guirlandes sont déposées par des officiels et des personnes privées a ensuite lieu.

Une fois la cérémonie officielle terminée, c’est le spectacle qui commence sur l’estrade spéciale aménagée pour l'occasion. En début, c’est la fanfare de l’unité qui monte la garde au cimetière. Les groupes de musique et les danseurs traditionnels font ensuite leur entrée sur scène. Les spectateurs, assis sur des chaises ou debout, assistent à la représentation, applaudissent et chantent parfois en chœur avec les groupes.

Le retour
Pour le retour, nous empruntons un chemin plus direct. Nous savions déjà qu'il aurait été trop difficile d'emprunter ce chemin pour aller à Tabla Buţii à vélo. Mais nous pensions que ce serait possible pour le retour, car nous descendons plutôt. En 2012, nous avons trouvé la descente plus difficile à cause des aspérités de la route. La deuxième fois, en 2013, tout s'est très bien passé, car nous sommes maintenant habitués. Bien sûr, nous nous arrêtions quelques fois pour admirer les paysages et les collines.

Nos aventures de 2012 et 2013 en lien avec le Tabla Buţii prennent fin ici. D'autres suivront. Les souvenirs et les paysages magnifiques resteront à jamais gravés dans nos cœurs. Nous n'oublierons pas non plus qu'il a fallu se surpasser pour y arriver.


L’explication du nom ‘Tabla Buţii’
La Transylvanie a appartenu à l’Empire autrichien entre 1700 et 1918. Il y avait une douane autrichienne dans le col de Tabla Buţii pour les marchandises sortant ou entrant par ici, en Transylvanie. Les douaniers appliquaient un petit bout de métal sur les tonneaux de vin qui y transitaient. Dans la langue roumaine, cette pièce de métal est appelée ‘tabla’. Les tonneaux de vin étaient appelés ‘buţii’. C’est ainsi que les marchands de vins roumains ont donné le nom de ‘Tabla Buţii’ à ce poste de douane.
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