C'est la montagne la plus difficile, la plus "technique" des Carpates, la chaîne de montagnes de Roumanie, mais c'est aussi une montagne de légende pour les passionnés. Sans être la plus haute, elle compte de nombreux sentiers de randonnée. Toutefois, la plupart d'entre eux requièrent un niveau d'expérience élevé pour être parcourus en toute sécurité. En revanche, ce massif offre des vues spectaculaires sur des paysages magnifiques. En 2010 et 2011, mon fils aîné, Radu, et moi l’avons partiellement traversée: une initiation à la montagne pour lui, une découverte pour moi. Lisez ci-dessous l’histoire de nos aventures.

2010, jour 1: vers Chalet Curmătura
Pour notre première visite, nous sommes allés dans cette montagne avec Florin, le parrain de Radu, et Andreea, sa fille. Florin l’avait parcourue dans sa jeunesse et il en gardait de bons souvenirs. En suivant ses conseils, nous avons établi notre camp à côté du chalet Curmatura. Pour y accéder, nous avons emprunté le chemin menant à la Fontaine Botorog. Depuis ce point, nous avons emprunté le sentier balisé "bande jaune" qui monte à travers la forêt jusqu’au chalet.

2011, jour 1: Des revenants
Nous avons suivi la même route en 2011, lorsque nous sommes revenus au massif. Seulement Radu et moi, mais nous étions mieux préparés et plus expérimentés. Par conséquent, le trajet qui nous avait paru si long et épuisant l'année précédente nous a semblé plutôt facile cette fois-ci. Nous sommes donc arrivés plus vite au chalet. Pour le plus grand bonheur du chien et du chat, qui sont immédiatement tombés sous le charme de Radu.

2010, jour 2: le Gué de la Faille
La météo n’est pas terrible: il y a du brouillard le matin, puis le ciel est couvert l’après-midi. Il est annoncé de la pluie pour aujourd’hui. Suivant le conseil du responsable du chalet, nous décidons de faire une randonnée facile en direction de Şaua Crăpăturii (traduction: le Gué de la Faille). Il s'agit d'un trajet d'un peu plus d'une heure sans difficulté technique particulière, mais plutôt physique. Par la forêt, nous mettons plus de deux heures pour y arriver. Mais les paysages sont à couper le souffle. Moi et Radu regardons le sommet Piatra Mica (traduction: la Petite Pierre) et le Gué de la Faille, comme des amoureux, en nous promettant d'y revenir un jour.

2011, jour 2: Sommet de la Petite Pierre
En 2011, deuxième journée, nous nous décidons de monter le sommet Petite Pierre (1 816 mètres). Après un réveil dans le brouillard, les nuages laissent place au soleil vers midi, et nous nous lançons donc à l'assaut de la montagne. En passant par le Gué de la Faille, nous arrivons rapidement au pied du sommet. Après une petite pause pour une séance photo avec le sommet en toile de fond, nous commençons l’ascension. Le trajet est plutôt physique et nous oblige à fournir beaucoup d'efforts pour monter. Mais la vue des montagnes recouvertes de végétation est un véritable baume pour nos yeux.

Sur certaines portions, le trajet devient "technique" et requiert des connaissances en escalade pour avancer en toute sécurité. Il faut également ne pas craindre le vide et ne pas être sujet au vertige.

Sur notre chemin, nous découvrons une croix: un avertissement. La montagne nous demande de la respecter. Il faut que ses leçons et ses lois soient connues et appliquées. Sinon, elle ne te le pardonnera pas. Nous l'avons fait, et arrivons au sommet, légèrement fatigués mais fiers de notre réussite. Là-haut, des croix ont été érigées en l'honneur des soldats roumains qui ont perdu la vie en défendant la patrie lors des deux guerres mondiales. Nous nous recueillons un instant en leur mémoire. Pour le retour, nous empruntons le chemin qui descend par l’autre versant, à travers la forêt.

À la fin, un peu fatigué, mais fier de lui, Radu est assis par terre et se repose en mangeant une pomme. La journée a été longue, mais fructueuse.

2010, jour 3: "Turnu" Trajet
Le troisième jour, dans la matinée, nous avons rencontré un groupe que nous allions rejoindre. Ils voulaient gravir le "Turnu Trajet", qui est le deuxième trajet le plus difficile de la montagne. Plusieurs portions exigent en effet des connaissances approfondies en escalade. Le responsable du chalet Curmătura essaie de nous convaincre d'abandonner, car selon lui, nous n'avons pas le niveau requis. Les autres s’entêtent à ne pas renoncer. Heureusement, deux sauveteurs en montagne qui passaient par là ont accepté de nous accompagner. Nous partons du chalet, traversons le Gué de la Faille et arrivons au pied du sommet. C'est à ce moment-là que la partie "technique" commence. Ils nous donnent une courte leçon sur la manière de monter et d'utiliser les prises de l'escalade. Puis nous nous élançons. Courageux, Radu se lance, tenant fermement la chaîne dans ses mains.

Le surprise choc a lieu au milieu du trajet, là où le parcours est le plus périlleux. Radu descend le couloir, puis grimpe le long d'une paroi presque droite pourvue d'une chaîne permettant d'assurer la sécurité du parcours. Toute cette scène se déroule sous la surveillance d'un sauveteur qui s'éloigne ensuite à toute vitesse. Je suis atterré, au bord de l'infarctus, et je lui demande de s'arrêter pour continuer à surveiller Radu. Il me répond: "Ton fils se débrouille merveilleusement bien, et je dois surveiller les squelettes du groupe".

En effet, Radu grimpe si bien que c’est moi qui dois aller derrière lui. Non seulement pour le surveiller, mais aussi et surtout pour copier ses prises et ses mouvements. Finalement, nous atteignons le sommet et la joie est immense: nous y sommes parvenus. Nous avons surmonté les difficultés du trajet, ainsi que nos propres peurs et limites. Les deux sauveteurs chaleureusement félicitent Radu pour sa performance et lui font une offre imbattable: le rejoindre à l'âge de 18 ans. Pour devenir sauveteur en montagne pendant la saison estivale. On lui promet une vie de rêve: il gagnera de l'argent et pourra vivre sa passion pour la montagne. Bonus: beaucoup de filles voudront passer des nuits avec lui. Malheureusement, ce ne se passera pas, car trois années plus tard, Radu partira définitivement pour la France. Mais la passion demeure: à ses 18 ans, Radu est l'un des membres les plus marquants du club d'escalade de sa ville.


Pour le retour; il est évident qu'il est impossible d'effectuer le même trajet en sens inverse, nayant pas le niveau requis. Nous avons donc emprunté la crête et, environ 30 minutes plus tard, nous arrivons au point Padina Popii. C’est le point de départ de l'itinéraire "Carol Lehman", également surnommé "trajet de secours" par les sauveteurs. C'est l'itinéraire que doivent suivre les randonneurs moins expérimentés qui souhaitent rejoindre la crête du massif en partant du Chalet Curmătura. Ce parcours n’est pas facile non plus, mais ne requiert pas de connaissances en escalade, contrairement au "Turnu". Radu, energisé par les compliments que les sauveteurs lui ont faits, n’hésite pas à prendre la tête du groupe de temps en temps en suivant le balisage "bande bleue".

2011, jour 3: "Turnu" encore une fois
Émerveillés par ce trajet en 2010, nous avions bien sûr l'intention de le refaire à notre retour dans le massif en 2011 ! Cette fois, nous partons avec un groupe de trois personnes qui souhaitent parcourir toute la crête nord du massif dans la journée. Notre plan était moins ambitieux: parcourir une partie de la crête et passer la nuit dans un refuge de montagne avant de poursuivre notre route le lendemain. Ils sont des randonneurs expérimentés, mais nous aussi, beaucoup plus que lors de l'année précédente. Nous partons donc le matin avec un bon rythme que nous gardons même sur les portions les plus difficiles du trajet. Plusieurs fois, Radu se retrouve en tête de la colonne, ouvrant la route pour nous, et reçoit les éloges de nos compagnons.

Nous nous accordons une petite pause une fois arrivés au sommet de Turnu afin de nous rafraîchir et de nous reposer avant d'attaquer la crête nordique du massif. Au début du parcours, le soleil brille très fort et nous transpirons abondamment. Une fois passé le point Padina Popii, la véritable nature de la crête se dévoile: le trajet devient de plus en plus difficile et requiert des connaissances en escalade pour avancer. Par endroits, des chaînes implantées dans la roche nous permettent d'avancer avec une certaine sécurité, même si celle-ci reste relative.

Cependant, nous sommes dans les montagnes et la météo peut changer brusquement en peu de temps. Alors que nous nous approchons du sommet Vârful Ascuţit, les nuages commencent à s’amonceler et le brouillard s’installe doucement. Nous nous arrêtons plus longtemps au sommet pour manger, en attendant un miracle: que le soleil et le beau temps reviennent.

Malheureusement, le miracle n’a pas eu lieu et nous sommes contraints de quitter la crête et de prendre le chemin menant au Chalet Curmătura, signalé par un "triangle bleu". Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas: de nombreux randonneurs font la même chose. Car la montagne a ses lois, dont celle de ne pas la provoquer. Si le temps n'est pas de la partie, il vaut mieux faire demi-tour et revenir une autre fois. De plus, la première partie du trajet n’est pas de tout repos, avec une descente assez raide et difficile. Il y a même une petite section avec des chaînes pour éviter de glisser sur les nombreux petits cailloux qui recouvrent le chemin.


2010, jour 4: La fin
Nous entamons le quatrième jour de notre première rencontre avec ce magnifique massif. Le temps est maussade et nous ressentons une certaine fatigue après la journée d'hier consacrée au "Turnu". Comme il n'est pas prévu de beau temps pour les jours à venir, nous décidons de rentrer. Radu est un peu déçu, mais je lui fais la promesse solennelle de revenir en 2011. Nous partons donc pour Fontaine Botorog, où mon beau-père nous prendra en voiture. Cette fois, nous choisissons un trajet qui, après une descente plus raide dans la forêt, nous amène à traverser les magnifiques Gorges de Zarneşti (Zarneşti est le nom de la ville la plus proche).

Bonus: peu avant d’arriver à la Fontaine Botorog, nous avons rencontré plusieurs sauveteurs en montagne qui s’entraînaient à l’escalade. Dans le groupe se trouvaient les deux qui nous avaient accompagnés sur le trajet du "Turnu". Ils nous ont bien sûr reconnu et nous ont proposé d'essayer nous-mêmes. Moi, je ne me sens pas capable, mais Radu est très intéressé. Il grimpe quelques mètres sur le rocher. Et c'est le début d'une passion qu'il pratique encore aujourd'hui, 15 ans plus tard.

2011, jour 4: Le repos
Quatrième jour: la pause. Pas volontaire, mais imposée par la pluie qui n’a pas cessé de tomber toute la journée. Nous l'avons passée dans le chalet, à échanger avec d'autres randonneurs des souvenirs de nos trajets et à regarder des photos des paysages magnifiques de cette montagne. Dans l'après-midi, je propose à un groupe de Hongrois de jouer UNO avec nous, mais ils refusent prétextant qu’ils ne parlent pas anglais. Je pars alors faire une sieste. Quand je reviens, ils sont tous autour de Radu et font des efforts considérables pour apprendre les règles du jeu qu'il leur enseigne en anglais. Et jusqu’au bout de la journée, Radu est parvenu à leur faire assimiler suffisamment les règles pour pouvoir jouer.
2011, jour 5: La Faille
Dernier jour: la pluie d’hier se transforme en crachin. Il ne nous reste plus qu'à partir, malheureusement. Mais dans un sort de bravade, un baroud d’honneur fait au météo, nous décidons de descendre La Faille. C’est l’un des trajets mythiques de cette montagne, et nous ne voulons pas partir sans l’avoir parcouru. C’est extrêmement dangereux, car le parcours se fait sur des cailloux et des rochers extrêmement glissants, à cause de l’eau de la pluie. Mais La Faille est là, majestueuse, et nous prenons notre temps pour faire très attention.

La descente commence et nous restons concentrés au maximum à chaque pas. Nous cherchons attentivement où poser le pied pour éviter de glisser et de nous blesser.


Nous arrivons à la fin du trajet en parfait état, fatigue mise à part, bien sûr. Très contents et fiers de nos exploits aussi. Et nous y reviendrons en 2012 pour lui parcourir la crête mythique de cette montagne légendaire.

Bonus: deux vers du chanson "Hymne du massif Piatra Craiului"
Si vous voulez savoir ce qu'est une montagne, gravissez La Faille.
Et parcourez le "Turnu" pour caresser la roche dure.
Et le chœur: "Quand tu verras des rivières de sueur couler sur ton visage.
Ayez foi en la montagne et en la vie.
Ici, dans les montagnes, rien n'est facile.
Mais c’est mieux que de rester sur les genoux de ta mère."
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