Le 23 Aout 1984, mon nom a été ‘carte bleu’ 191270; en ce jour - là j’ai du participer au ‘spectacle - hommage’ rendu au Dictateur Ceausescu, le vrai destinataire de la cérémonie de Fête Nationale de la Roumanie en ce temps-là.
Le roi Mihai, principal architecte du changement d'alliance de la Roumanie le 23 août 1944 (à gauche). Le Palais Royal de Bucarest est le lieu où ont été arrêtés les personnalités clés du régime d'Antonescu et où le roi a formé le nouveau gouvernement. Ion Antonescu et Mihai Antonescu avaient déjà été arrêtés et détenus à la Casa Nouă, la villa située à proximité du palais qui fut détruite les jours suivants par les bombardements allemands (au centre). L'arrivée de l'Armée rouge « libératrice » à Bucarest. L'Armée rouge est entrée à Bucarest une semaine après les événements, trouvant la ville libérée des Allemands, avec l'armée roumaine prête au combat et un gouvernement prêt à être son allié (à droite).
Explication: une ‘carte’ était une grande pièce de carton avec une lettre peint sur elle ; une personne tenait une ‘carte’. À la suite des indications données par des ‘metteurs en scène’, les gens mettaient des ‘cartes’ ensemble, suivant une chorographie millimétrée pour former de slogans qui soient vus de loin.
Le 23 aout
Pour la plus partie de la deuxième guerre mondiale, Roumanie a été en guerre contre la Russie (l’Union Soviétique en ce temps-là) pour récupérer la Région de Basarabie (aujourd’hui l’ex-république soviétique et état Independent connue sous le nom de ‘Moldavie’). Basarabie a été abusivement occupée par la Russie en 1940 à la suite de l’accord passé de Staline avec Hitler (connu sous le nom ‘Ribbentrop - Molotov’ d’après les noms de ces deux ministres de Affaires Étrangères qui l’ont signé). La prise par les Russes de cette région a été un choc pour les Roumains comparable avec ce qu’on a vécu les Français après la perte de l’Alsace et la Lorraine en 1870. Cependant, le 23 aout 1944, Roumanie a changé du camp en passant du côté des Alliés; ce jour a été la Fête Nationale de la Roumanie jusqu’à 1990. Malheureusement, le 23 Aout 1944 est aussi la journée quand l’occupation Russe de la Roumanie a débuté ; ils ont imposé aux Roumains la Dictature du Parti Communiste comme modèle de gouvernement.
Nicolae Ceauşescu - le Dictateur
Il a pris le pouvoir en 1965 et régné jusqu’au décembre 1989; il a été déposé du pouvoir à la suite d‘une une Revolution ensanglantée par des troupes restées fidèles. Au début, son régime a été plutôt modéré ; au fil du temps, il est devenu de plus en plus infernal. Dernière partie de son régime, les années de mon enfance et adolescence, c’était l’Enfer sur Terre ; comparé au Ceaușescu, Franco et Mussolini passent pour des anges. Pour tout comprendre, prenez comme référence ce qu’il est pire que l’Iran et la Russie du Poutine; ou, mieux, la Corée du Nord. De plus qu’une visite effectuée en 1971 en Chine du Mao Zedong et la Corée du Nord du Kim Il-sung lui ouvre l’appétit d’être honoré comme ceux deux-là ; par la suite, à sa demande, il est créé et développé un ‘Culte de la personnalité’ d’une ampleur démesurée (prochainement, l’article ‘Le Culte de la Personnalité’ du Ceaușescu sur le blog). Et la Fête Nationale du 23 Août est devenue la place d’une de manifestation-phare de celui-ci; donc chaque année, c’est lui et pas le pays qui est célébré par des ‘spectacles-hommage’ encore plus gigantesques et demeurés d’une année à l’autre.
Nicolae Ceaușescu, le dictateur roumain (à gauche). L'accueil grandiose réservé par Kim Il Sung, le père de l'actuel dictateur nord-coréen, lors de sa visite à Pyongyang en 1971 (au centre). Les deux dictateurs, à la réception officielle (à droite).
Des ‘spectacles - hommage’?
Oui, parce qu’il y a un ‘spectacle-hommage’ a sa gloire qui est organisé dans la préfecture de chaque département ; il se passe devant le ‘Gauleiter‘ local (nom de la fonction en roumaine en original: ‘Prim-secretar de judeţ’). C’est celui qui règne en maître autocratique sur toute le département; il n’obéi qu’au membres du Cabinet du Dictateur. Bien sûr, le plus grand, le plus spectaculaire et démesuré ‘spectacle – hommage’ est organisé dans la capitale du pays, Bucarest, devant le Dictateur Ceausescu lui - même et son Cabinet. Le 23 aout 1984, moi, George, nous l’avons vécu à l’aube de mes 14 ans ; en direct, car j’ai été sélectionné.
La sélection
Des dizaines de milliers des adultes et des enfants de toutes les classes sociales doivent en participer ; la sélection était faite très attentivement: seulement ceux qui sont blancs, caucasiens et athlétiques peuvent défiler devant ‘Le Camarade’ (‘Tovaraşul’ en roumaine en original, le surnom porté par le Dictateur Ceauşescu) et ‘La Camarade’ (‘Tovarășa’, sa femme); le racisme et xénophobie de ceux deux-là dépassent de loin les pires convictions pareilles d’aujourd’hui. Ceux qui n’avaient pas cette apparence physique, mais qui étaient dociles, faciles à dompter, faisaient les ‘cartes’. Pour les enfants: l’école décidait à sa guise qui devraient participer; aucun accord de la part des parents n’était pas nécessaire. Si, par miracle (ou stupidité), un parent essayait de s’opposer, l’entreprise qui l’emploie était annoncé pour prendre des mesures contre lui; des mesures comme celles ci-dessous.
En 1989, à Ploiesti, le défilé du 23 août est organisé notamment au stade "Petrolul". Pour que tout se passe comme prévu, des pionniers furent amenés non seulement de Ploiesti, mais aussi des villes voisines. Des milliers d'enfants ont travaillé sous le chaud soleil d'été, du matin au soir, pour que le spectacle se déroule parfaitement. Pour l'énorme effort fourni, Eugenia a reçu des biscuits et une bouteille de Pepsi, la récompense ultime pour un enfant de ces années-là. Photos des défilés des années 80 à Ploieşti, issues des archives de la Société Culturelle ATOM Ploieşti.
Mesures contre ce qui auraient refusé à participer
Pour les adultes, une ou plusieurs punitions au boulot: 1. congés dans les pires périodes des année et dans les moins intéressantes destinations touristiques; 2. pas des primes, augmentation de salaire ou promotion; 3. passage vers sur une autre fonction ou poste de travail en dessous de celui détenu antérieurement ; 4. mettre au placard etc. Les enfants étaient abusés psychologiquement en leurs disant le mal qui pourraient souffrir leurs parents au boulot s’ils refusaient; ceux réticents ou qui ne montraient pas suffisamment d’enthousiasme devenaient la cible d’un harcèlement organisé par des professeurs et que les autres élevés devraient le pratiquer. Et tous, adultes et enfants, devraient se proposer ‚volontairement’.
Les pionniers roumains, dont Angelo et moi faisions partie, démontrant l'adhésion et le bonheur de vivre une époque si extraordinaire. En réalité, tout n’était qu’une mascarade, dont nous étions les principales victimes, un énorme mensonge qui a fini par enterrer le système communiste. A droite, un timbre anniversaire du 23 août 1984, autre moyen d'intense propagande en faveur des «bienfaits du communisme».
‘Volontaires’?
Oui; tous qui étaient demandés à participer au ‘spectacle hommage’ devraient se porter ‘volontaires’; comme ça, on tous des ‘volontaires. Dans les faits, ils devraient le faire une fois désigner comme tel par des caciques du Parti Communiste; tout écart entraînait l’application des punitions. Par la suite, pour démontrer l’absurde de la situation, on a inventé des phrases comme telles: 1. Vous avez été choisi à être volontaires.’ ; 2. ‘Le Parti a déjà choisi les volontaires et vous en faites partie.’; 3. ‘Si je suis obligé de me proposer volontaire, je le ferai avec une énorme plaisir’ et beaucoup d’autres pareils.
Angelo – sauvé par des gitans (‘ţigani’ en roumain en original)
En règle générale, les gitans ne participaient pas au ‘spectacle–hommage’; en bon raciste, Ceauşescu ne voulait les voir devant ses yeux. Ils n’étaient pas bons d’être ‘cartes’ non plus, car ils n’étaient pas suffisamment de ‘dociles’ ; c’est-à-dire, ils n’acceptaient pas facilement, comme les autres, les maltraitances infligées habituellement aux gens par les organisateurs. Et les coups de couteaux partaient vite dans un tel cas ; comme les organisateurs n’étant pas des idiots, ils préféraient à ne pas travailler avec les gitans. De tout façon, il n’y a pas d’intérêt; ils avaient tant des ‘volontaires’ à diriger et maltraiter. Moi, Angelo, je n’en faisais pas partie ; mais je vivais dans en quartier ou ils étaient ultra majoritaires. Donc, je traînais toute la longueur de la journée avec les fils et les petits frères des ‘caïds’ du coin; et ils me protégeaient du même comme les leurs. C’est la raison pour lequel je n’ai jamais été proposé ‘volontaire’ pour un tel ‘spectacle - hommage’
Des répétitions sans fin
Les répétitions commençaient plusieurs mois en avance. Les participants arrêtaient le travail; dans le langage de l’époque, on disait qu’ils se faisaient ‘sortire de production’. En revanche, chaque jour ils étaient tenus à se déplacer par les propres moyens au stade ou le ‘spectacle’ allait se tenir. Là, ils devaient répéter les mouvements, les pas, les ‘hourra’ et tous les autres éléments du ‘spectacle’; pendant des heures et des heures, sous un soleil qui brillait de plus en fort, sans manger ni boire qu’à la fin. Véritable test d’endurance à passer à tout prix; sinon, toute échec pouvait être considérée comme refuse de se présenter (avec les conséquences montrées ci-dessus).
Les répétitions pour les spectacles d'anniversaire ont duré des mois et ont été de véritables tests d'endurance, tant pour les enfants que pour leurs parents. Toute cette corvée organisée était en fait une obligation à laquelle on ne pouvait pas échapper, risquant des problèmes tant au travail qu'à l'école.
Moi, George, je me fais porter ‘volontaire’
Le 23 aout 1984, le matin, moi, je ne suis qu’un enfant de 14 ans; quand, avec les autres élevés de ma classe, nous étions convoqués à l’école en urgence. Même aujourd’hui, 40 années plus tard et vivant en Nouvelle Zélande (ou le communisme et Marxisme se retrouvent dans la même panier), je me rappelle le déroulement de faits comme c’était hier: le Camarade Postolache, le Chef communiste de notre école (et accessoirement, professeur de Histoire–Géo; l’ironie de la vie: aujourd’hui, moi – même je suis professeur de l’Histoire – Géo!), entre dans la salle de classe et se met début devant nous avec un sourire sadique sur ses lèvres. Et l’annonce tombe: le Parti Communiste a besoin de nous pour le ‘spectacle–hommage’ devant le Camarade Ceasusescu; donc, nous nous sommes porté ‘volontaires’ pour en participer. Pour nous ‘amadouer’, on nous promet deux sandwich, un avec du fromage, l’autre avec ‘parizer’ (un sort de charcuterie spécifique à la Roumanie en ce temps-là; ne demandez pas à savoir avec quels ingrédients et comme il était réalisé que si vous voulez avoir les symptômes d’une intoxication alimentaire même sans avoir du le goûter); pour nous, plutôt affamés, car la nourriture commence à manquer dans le pays, cela semble quelque chose de merveilleux. On nous donne une heure pour revenir en grande tenue d’aparat, avec tous les....
TÉMOIGNAGE DU COMMUNISME (Dodo Nita) "Boire la bouteille de Pepsi se déroulait selon un véritable rituel. La veille, j'avais mis une bouteille au réfrigérateur. Le lendemain, après le déjeuner, j'ai débarrassé la table des assiettes et plats sales et j'ai mis la bouteille de Pepsi et deux verres transparents. des verres dessus. Après cela, j'ouvrais la bouteille avec un ouvre-bouchon de bière et j'appréciais le son unique - psiiiittt ! - que produisait le dioxyde de carbone en sortant de la bouteille lorsque je versais le contenu dans les deux verres autant que le extase des papilles, choyées par les bulles du liquide coloré, qui grésillait de manière orgasmique sur la langue. Ce n'est qu'alors que nous avons avalé la boisson rafraîchissante, en essayant de conserver son goût inoubliable. Le slogan "Avânt si energie" a été conçu par l'écrivain de romans humoristiques Vlad Muşatescu, alors rédacteur techno au célèbre magazine Flacăra.
Signes spécifiques
Qui sont: la cravate rouge que tous ont été obligés à la porter; rouge comme le sang, la marque des communistes de toute le temps. Plus des épaulettes jaunes ou bleus; le ‘jaune’ est pour le chef de la classe et le ‘bleu’ pour ses adjoints. Cette année, c’était moi le détenteur des épaulettes jaune; la fiche de mon poste (et de ceux de mes adjoints) était simple: transmettre les ordres donnés par des professeurs et, principalement, par ‘Camarade Postolache’ et assurer l’ accomplissement. Lui, il nous donnait ordres d’organiser le harcèlement ou d’autres formes d’abus contre ceux de nos collègues qui, d’après lui, ne rentraient pas ‘dans les rangs’. Les bons exécutants recevaient des médailles; on nous disait toujours de les porter et d’être fiers. Elles prouvaient que nous allions devenir les meilleurs cadres du Parti Communiste Roman de demain; aujourd’hui, il me semble que nous avions été un sort de Sonderkommando (ou encore une sorte de Kapo). Cependant, seulement quelques-unes de nous en avaient; donc, tous les autres ont les reçu pour les porter pendant le ‘spectacle’. A la fin, elles devaient être retournées, pour être utilisées une autre fois; pour Postolache et les autres, c’etaient que des simple accessoires d’une pièce dans laquelle nous étions simplement des figurants.
A l'école générale no. 67 du quartier ouvrier du 23 août. Sur la photo du milieu, vous pouvez voir des signes de propagande communiste (derrière moi), des photos du camarade et du camarade Ceausescu, lors de visites dans diverses entreprises et plusieurs livres de propagande absolument insipides. Le premier en partant de la droite est George, le commandant du détachement, avant la rentrée, avec une cravate rouge autour du cou et une bouteille de Cico (une marque roumaine qui aurait dû concurrencer le Pepsi, mais qui était en fait un limonade plutôt sèche). C'est dans cette classe que le camarade Postolache nous a convoqués pour la grande manifestation du 23 août 1984.
Ma peur
Il y avait une énorme pression dans l'air et moi, je vais vivre ce 23 Août 1984 avec une peur terrible dans le ventre; dans toute moment, je vais me demander: et si je commet une erreur? Et si je ne suis pas parfait? Que va-t-il m'arriver? Qu'arrivera-t-il à ma famille? Souffriront-ils à cause de cela? Un stress énorme sur les épaules de l'enfant que j'étais encore à l'époque. Mais tout s'est bien passé et rien de grave n'est pas arrivé.
Je deviens une ‘carte bleu’
On marche à pied environ un kilomètre jusqu’à la station de métro la plus proche; on prend le métro pour un seul arrêt. Une fois arrivé devant la stade, le plus grand du pays, on y reste pour deux heure sous un soleil qui brille extrêmement fort (une journée comme celle–là aurait été signalé par un énorme ‘code rouge’ aujourd’hui). Une fois introduits dans le stade, on nous informe de nos rôles; moi, je vais être la ‘carte bleu 191270’ et c’est mon nom durant tout le temps de spectacle. Ensemble avec mes collègues et tous les autres 3000 de enfants ‘carte’, nous allons former quelques slogans comme ‘Les colombes de la paix’ et ‘Age d’or’; je me rappelle comme faisant partie de group qui a créé ce dernier. Ces slogans étaient très chers aux Dictateur Ceausescu, qui voudrait se vanter devant ses invités et monde entier.
Un des slogans que nous avons fait lors du grand spectacle ! George se trouve quelque part au-dessus de la dernière lettre C du nom de Ceaușescu, comme un carton bleu. Malheureusement, la photo est en noir et blanc.
Les invités
Le stade est plein; le Dictateur Ceausescu et sa femme sont dans la tribune officielle. C'est incroyable et effrayant pour moi de les voir là, sur le devant de la scène, avec leurs gardes du corps et accompagnés de ses hommes de main les plus fidèles. Derrière eux sont les autres: les ministres adjointes, les dirigeants syndicaux, autres dirigeants des ‘ouvriers’ et les "les meilleurs des ouvriers’; ceux la, ils ne feront pas long feu dans leur poste. Le speaker du stade annonce les noms des dirigeants étrangers qui participent; les plus importants sont: Erich Honecker, président de l'Allemagne de l’Est, véritable ‘dinosaure communiste’; Li Xiannian, président de la Chine, Jose Eduardo dos Santos, président de l'Angola. Il y a d'autres, moins importants. Je les vois tous de derrière mon carton bleu et je frissonne de peur; le sang qu’ils ont fait couler pendant leur règne pourrait remplir le Pacifique.
Les principaux participants extérieurs, de gauche à droite: Erich Honecker, président de la République démocratique allemande; Li Xiannian, président de la Chine et Jose Eduardo dos Santos, président de l'Angola.
‘Le Héros de la patrie’
Moi, toute ce que je souhaite le plus, c'est que cela prend fin plus vite, afin que je puisse rentrer chez moi; mais pour cela, il faut que je survive au ‘spectacle’. Je suis de l'autre côté de la tribune officielle, où est exposé un immense portrait du dictateur. Près du portrait, un grand panneau porte les logos du Parti Communiste Roumain et de la République Socialiste Roumanie. En dessous, une immense banderole de propagande indique: ‘Vive le 40e anniversaire de la révolution socialiste, antifasciste et anti-impérialiste’. Le drapeau national est présent partout accompagné par le drapeau rouge du Parti Communiste. Ceaușescu est présenté comme "le Héros de la patrie’, le principal bénéficiaire de l'événement; tout ce que nous faisons, c'est pour le ‘célébrer’. Plus qu'une simple canonisation, il s'agit d'une déification, de la transformation de Ceaușescu en Dieu sur terre. Et lui, il salue la foule d'un mouvement de main mécanique, presque ennuyé; dans ce temps, il regarde le spectacle d'un air lointain, presque absent et déconnecté du fleuve multicolore de gens qui défilent devant lui.
L'ordre du défilé
C’est toujours l'armée qui ouvre le défilé, suivie de la Milice (l'équivalent de la police actuelle, mais qui servait plus à réprimer la population qu'à lutter contre la criminalité). Vient ensuite le cortège des ‘ouvriers’; appelés aussi la ‘classe ouvrière’ ou ‘prolétariat’, ils étaient présentés par la propagande comme un des composants du ‘socle du pouvoir’ du Parti Communiste Roumain.
Les ouvriers
Placé derrière mon carton bleu, je vois les ouvriers passer et applaudir le dictateur pour lui témoigner leur amour; faux, bien sûr: ils sont forcés à le faire, sinon… Ils viennent de différentes usines, vêtus de différentes tenues de travail; ils portent des énormes cartes, les maquettes des machines sur lesquelles ils travaille. Le speaker du stade les présente d’après le modèle suivant: ‘D'un pas vif, en cadence, parfaitement alignés, les ouvriers de l’usine X passent. Cette année, cette usine a reçu le drapeau de ‘meilleure entreprise’ dans son domaine d’activité. À la tête de la colonne se trouve le camarade Ion Mischie, qui a reçu le titre de ‘meilleur ouvrier’; étant dans une guerre acharnée contre le gaspillage, le camarade Mischie a économisé 100 pilules Vidia, l'équivalent en métal de trois moissonneuses-batteuses’. Il est évident que le ‘camarade Mischie’ ne peut être repéré dans la foule; très probablement, il n'existe même pas dans la réalité. Peu importe, ce qui compte, c'est la mention de ses exploits professionnels - un élément important de la propagande communiste. Toute comme les ‘engagements’ de diverses entreprises.
L‘engagement de 20,000 paires de chaussures
Je me souviens également d'un incroyable panneau d'affichage; son message est resté à jamais tatoué sur mon cerveau: ‘L'équipe de l’entreprise Y s'engage à créer plus de 20 000 paires de chaussures supplémentaires dans les mois à venir’. Pour moi, cet engagement était impressionnant; je pensais combien il devrait être de difficile à en produire autant. Plus tard, quand on ne trouvait pas des chaussures dans les magasins, j’allais me poser la question: pourquoi il n'y a pas de chaussures si l'on en produit autant? Pendant ce temps, dans le défilé, les ouvriers sont suivis par des…
Une séquence de la manifestation du 23 août, à laquelle j'ai participé. Devant, à moitié seulement, vous pouvez voir le slogan de Griviţa Roșie.
‘Paysans’
Soi-disant, ils sont l’autre composant du ‘socle’. Dans les faits, les paysans de l'époque n'ont rien de commun avec ceux d’aujourd’hui, si ce n'est qu'ils aussi travaillaient la terre. Mais dans des conditions indignes, car rien ne les appartenait: ni les outils agricoles, ni la terre. Et le résultat de leur travail était pris par l’État; toute sauf une très petite quantité, telle qu’ils avaient besoin pour ne pas mourir de faim. Bref, ils étaient pareils aux esclaves noirs sur les plantations de coton, par exemple; et la place du maître blanc était détenu par le chef du village, cacique du Parti Communiste. Lui, il est aussi blanc, car le racisme était institutionnalisé; les gitans et tous qui n’étaient ‘blanc neige’ ne pouvaient pas devenir cadres du Parti Communiste Roumain. Des cadres qui n’étaient pas non plus des….
‘Intellectuels’
L’appellation ‘intellectuels’ était donnée aux ceux ayant fait des études supérieures. Ils ne bénéficiaient pas de la ‘grâce’ du Parti Communiste; trop ‘intelligents’, moins difficile à manipuler, à abuser et à effrayer. Dans le défilé, les ‘intellectuels’ venaient à la fin; ils étaient les derniers. D’une pierre deux coups: 1. montrer que dans la société communiste, ils étaient la classe d’en bas de l’échelle; 2. Les faire poireauter le temps que tous les autres passent.
‘Le cartes’
La chorégraphie avec les ‘cartes’ est très importante; c’est une voie privilégié de la propagande communiste. Donc, le droit à l’erreur n’est pas permis sous peine des dures punitions; chaque participant ‘carte’, adulte ou élève, faite partie d'une immense organisation. Des ‘metteurs en scène’ et leurs assistants se déplacent a quatre pattes entre nous; ils sont munis de mégaphones de faible puissance pour transmettre les instructions de mouvement à divers moments clés du spectacle. Nous le regardons impressionnes par la façon dont ils s'acquittent de leurs tâches; certains sont rouges au visage à cause de la tension et des cris. On pourrait penser qu'ils vont être frappe par une apoplexie d’un moment à l’autre; hélas, dans la zone où je me trouvais le 23 août 1984, cela ne s'est pas produit (malheureusement !). A un moment, à notre droite, il y en a un avec un sifflet; il est aussi rouge au visage et on dirait qu'il va mourir d'une crise cardiaque en criant: ‘les jaunes: 1, 2, 3, 4, 5! Retournez vers la droite’ et ‘les bleus: 1, 2, 3, 4, 5! Retournez vers la gauche’. Celui qui se dit ‘metteur en scène’ hurle les ordres nous disant comment on doit bouger, nous les ‘cartes’, pour former les slogans que le Dictateur Ceausescu, ses invités et le monde entier doivent les voir. Et nous montrons tous nos ‘cartes’, en criant au monde entier: ‘Ceaușescu est aimé par la jeunesse du pays’. Moi, sous la ‘carte bleu numéro 191270’, et des milliers d'autres jeunes sans visage caches sous leurs ‘cartes’.
Ce que la presse a écrit
Voila un extrait d’un article paru dans le journal officiel du Parti Communiste Roumain (‘L’Humanité’ roumain): ‘Dans une atmosphère de forte ferveur, de fierté patriotique pour les grandes réalisations de notre présent socialiste et de confiance dans l'avenir communiste de la patrie, le peuple roumain, étroitement uni autour du Parti, de son secrétaire général, le camarade Nicolae Ceausescu, a célébré, jeudi, le 40e anniversaire de la lutte antifasciste, le 40e anniversaire de la révolution antifasciste, anti-impérialiste, de libération sociale et nationale, un événement d'une importance cruciale pour le destin du pays, qui a ouvert une nouvelle ère dans l'histoire de la Roumanie, dans son développement sur la voie de l'indépendance nationale et du progrès social’.
La propagande communiste s'est répandue dans les médias de l'époque : Femeia, Cutezătorii, Flacăra, Munca de partid, Veac Nou et bien d'autres publications qui parlaient, en 1984, de la grande manifestation du 23 août mais aussi du XIIIe Congrès du Parti communiste roumain.
Quatre ans plus tard
C’est le matin du 23 août 1988. Encore une fois je suis convoqué en urgence pour participer au ‘spectacle – hommage’; cette fois, je suis à l’aube de mes 18 ans et plus seul et apeuré. Avec Angelo, nous formons une ‘équipe de rêve’: rockers (‘fans de métal’ dans le langage d'aujourd'hui) et karatéka (pratiquants des arts martiaux); donc, nous sommes considérés comme ‘dangereux’ par les autorités communistes (et pour très bon raison: les rockers et les karatéka vont se retrouver dans les premiers rangs de la Revolution qui a fait tomber le régime communiste du Ceausescu le 22 décembre 1989). Quelques mois plus tôt, nous aurions ignoré cette convocation et rien n’aurait été fait contre nous; cependant, nous allons faire le contraire: on va se presenter pour mettre notre petit grain du sel. Car entre-temps, le ‘Retezat’ y est passée et nous n'étions plus les mêmes d’avant (lire "Retezat 1988 - Quand tout a commencé").
Ma (petite) revanche
Dans la semaine qui précède le "spectacle - hommage" du 23 août 1988, les organisateurs se rendent compte qu'ils ont omis de convoquer mon lycée (un des meilleurs du pays); un tel oubli était plus que normal: il faut dire que, dans les dernières années de la dictature de Ceausescu, l'incompétence avait atteint des sommets plus hauts que l'Everest. En urgence absolue, les élèves du lycée sont convoqués le 23 août au matin pour en participer; nous y compris. C’est la Cheffe comuniste du lycée qui en a décidé; elle est la Camarade Mincu, la Pasionaria de la Roumanie ayant des orgasmes à repetition en temps qu’elle écoute les discours du Camarade Ceaușescu. Devant elle, Angelo et moi, nous présentons dans les uniformes de lycéens les plus propres et les plus élégant; et, les mains sur le cœur, nous nous engageons de nous conduire en conformité avec ‘l'éthique communiste’. Par la suite, elle nous confère la mission de ne pas laisser personne ‘s'évaporer’ sur la route vers le stade; et nous avons bien veillé à ce que personne ne parte pas..... sans avoir reçu des instructions précises comment échapper aux patrouilles. Et on a fait un ‘sans faute’ - pas un seul n’a pas été ‘recuperé’! Nous sommes partis en derniers, les enseignants et les miliciens courant derrière nous comme des dératés; absolument inutiles, bien sûr. Au début de l'année scolaire, ils ont enquêté sur nous; nous avons prétendu que nous avions tenu notre parole: nous n'avions laissé personne partir sans une bonne préparation faite en amont pour bien réussir l’évasion. C'est leur faute s'ils n'ont pas bien compris notre engagement; comme ça, on a prouvé leur incompétence. Plus tard, après la Révolution, nous allions faire des belles carrières: moi comme journaliste et Angelo comme avocat. Jusqu'à ce que nous quittions définitivement la Roumanie, moi pour la Nouvelle-Zélande, Angelo pour la France (lire "La Roumanie à la croisée des chemins: l'Ouest ou la Russie").
Ci-dessous, vous pouvez regarder des images d'archives de la manifestation, produites par la seule télévision roumaine capable de diffuser pour tous les Roumains.
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