L’ENFER COMMUNISTE - LE 23 AOUT 1984
- angelogeorge988
- 14 juil. 2024
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Dernière mise à jour : 1 nov.
Le 23 août 1984, j’ai été «carte bleue» numéro 191270; ce jour-là, j’ai dû participer au «Spectacle-Hommage» rendu au Camarade Dictateur Ceaușescu, le véritable destinataire de la cérémonie de la Fête Nationale de la Roumanie à cette époque. Explication: une «carte» était une grande pièce de carton sur laquelle était peinte une lettre. Une personne tenait une «carte». À la suite des indications données par des «metteurs en scène», les gens mettaient des «cartes» ensemble, suivant une chorégraphie millimétrée, pour former des slogans visibles de loin.
Le 23 aout
Pendant la majeure partie de la Seconde Guerre mondiale, la Roumanie a été en guerre contre la Russie (l’Union soviétique) pour récupérer la région de la Bessarabie (aujourd’hui l’ex-république soviétique et État indépendant connu sous le nom de «Moldavie»). La Bessarabie avait été abusivement occupée par la Russie en 1940, à la suite de l'accord passé entre Staline et Hitler (connu sous le nom de «Pacte Ribbentrop-Molotov»). La prise de cette région par les Russes a été un choc pour les Roumains comparable à ce que les Français ont vécu après la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870. Cependant, le 23 août 1944, la Roumanie a changé de camp en passant du côté des Alliés; ce jour est resté la Fête Nationale de la Roumanie jusqu’en 1990. Malheureusement, le 23 août 1944 marque également le début de l'occupation russe de la Roumanie, qui a imposé la dictature du Parti Communiste comme modèle de gouvernement.
Nicolae Ceauşescu - le Camarade Dictateur
Il a pris le pouvoir en 1965 et a régné jusqu’en décembre 1989, date à laquelle il a été déposé du pouvoir à la suite d’une révolution sanglante. Au début, son régime était plutôt modéré, puis il est devenu de plus en plus infernal avec le temps. Durant les dernières années de son régime, qui ont coïncidé avec mon enfance et mon adolescence, c’était l’enfer sur terre: comparés à lui, Franco et Mussolini passaient pour des anges. Pour vous faire une idée, imaginez le pire de l’Iran et de la Russie de Poutine, ou mieux encore, de la Corée du Nord. De plus, sa visite en Chine en 1971 chez Mao Zedong et en Corée du Nord chez Kim Il-sung lui a donné envie d'être honoré comme eux. Par la suite, à sa demande, un «culte de la personnalité» d'une ampleur démesurée a été créé et développé. La Fête Nationale du 23 août est devenue l'occasion d'une manifestation phare en son honneur; chaque année, c’est donc lui et non le pays qui est célébré par des «Spectacles-Hommages» de plus en plus gigantesques et ridicules.
Plusieurs «Spectacles-Hommages»?
Oui, car un «Spectacle-Hommage» à la gloire de Ceauşescu était organisé le 23 août dans chaque préfecture de département, en présence du «Gauleiter» local (le nom roumain original était «Prim-Secretar de judeţ»). Celui-ci régnait en maître autocratique sur tout le département et n'obéissait qu'aux membres du cabinet du dictateur Ceauşescu. Bien sûr, le plus grand, le plus spectaculaire et le plus démesuré de ces «Spectacles-Hommages» était celui organisé dans la capitale, Bucarest, en présence du Dictateur Ceaușescu et de son cabinet. Le 23 août 1984, j'avais 14 ans et j'ai vécu cet événement en direct, car j'avais été obligé d'y participer.

La sélection
Des dizaines de milliers d'adultes et d'enfants de toutes les classes sociales devaient y participer. La sélection était très attentive: seuls les Blancs caucasiens et athlétiques pouvaient défiler devant le couple présidentiel, dont le racisme et la xénophobie dépassaient de loin les pires manifestations d’aujourd’hui. Ceux qui n’avaient pas cette apparence physique, mais qui étaient dociles et faciles à dompter, participaient en tant que «cartes». Pour les enfants, l’école décidait à sa guise qui devait participer, sans demander l’accord des parents. Si, par miracle (ou stupidité), un parent essayait de s'opposer, l'entreprise qui l'employait était prévenue pour prendre des mesures contre lui, comme celles ci-dessous.

Mesures contre ce qui auraient refusé à participer
Pour les adultes: des congés pendant les périodes les moins intéressantes de l'année et dans les destinations les moins prisées; l'absence de primes, de majorations de salaire ou de promotions; le passage à une autre fonction ou à un autre poste de travail inférieur à celui détenu auparavant; la mise au placard. Pour inciter les enfants à participer, on les menaçait de nuire à leurs parents sur leur lieu de travail s'ils refusaient. Les réticents ou ceux qui ne montraient pas suffisamment d'enthousiasme étaient la cible d'un harcèlement de grande ampleur organisé par des professeurs et impliquant les autres élèves. Et nous étions tous, adultes et enfants, des «volontaires» pour participer aux «Spectacles-Hommages».

Des «volontaires»?
Oui, tous ceux qui avaient été désignés pour participer aux «Spectacles-Hommages» devaient le faire «volontairement». Ainsi, nous étions tous des «volontaires». En réalité, une fois désignés comme tels par des caciques du Parti communiste, aucun écart n’était plus possible, sous peine de punitions. Pour démontrer l'absurdité de la situation, on a ensuite inventé des phrases telles que: «Vous avez été choisis pour être volontaires», «Le Parti a déjà choisi les volontaires et vous en faites partie», «Si je suis obligé de participer, je me proposerai comme volontaire avec un immense plaisir», et beaucoup d'autres du même acabit.
Angelo, sauvé par des Gitans
En règle générale, les Gitans (nommés «Ţigani» en roumain) ne participaient pas aux «Spectacles-Hommages», car Ceaușescu, raciste jusqu’au bout des ongles, refusait même de les voir. Ils n'étaient pas non plus de bonnes «cartes», car ils n'étaient pas suffisamment dociles. Autrement dit, les Gitans refusaient les mauvais traitements infligés habituellement aux gens par les organisateurs et pouvaient répliquer par des coups de couteau. Comme les organisateurs n'étaient pas idiots, ils préféraient donc ne pas travailler avec eux. De toute façon, ils avaient déjà suffisamment de «volontaires» à diriger et maltraiter. Moi, Angelo, je n'en faisais pas partie, mais j'habitais dans un quartier où les Gitanes étaient ultra-majoritaires. Comme je traînais toute la journée avec les fils et les petits frères des «caïds» du quartier, ils me protégeaient comme s'il s'agissait des leurs. C'est la raison pour laquelle moi, Angelo, je n'ai jamais été proposé «volontaire» pour des «Spectacles-hommages».

Moi, Georges, je me fais porter «volontaire»
Le 23 août 1984, au matin, je ne suis qu’un enfant de presque 14 ans. Avec les autres élèves de ma classe, nous sommes convoqués à l’école en urgence. Même aujourd'hui, quarante ans plus tard et alors que je vis en Nouvelle-Zélande (où le communisme et Mars se retrouvent dans le même panier), je me rappelle les faits comme s'ils s'étaient produits hier: le Camarade Postolache, le chef communiste de notre école (et accessoirement professeur d'histoire-géographie - l'ironie de la vie: aujourd'hui, je suis moi-même professeur d'histoire-géographie!), entre dans la salle de classe et se met devant nous, un sourire sadique aux lèvres. Et l’annonce tombe: le Parti Communiste a besoin de nous pour le «Spectacle-Hommage» devant le Camarade Ceaușescu et nous nous portons donc «volontaires» pour y participer. Pour nous «amadouer», on nous promet deux sandwichs: un au fromage et un au «parizer» (un type de charcuterie spécifique à la Roumanie à l'époque - ne demandez pas à savoir avec quels ingrédients il était réalisé, car vous risqueriez d'avoir les symptômes d'une toxi-infection alimentaire, même sans l'avoir goûté). Pour nous, plutôt affamés, car la nourriture commençait à manquer dans le pays, c'était quelque chose de merveilleux. On nous donne une heure pour revenir en grande tenue avec les signes spécifiques.

Les signes spécifiques
La cravate rouge que nous étions tous obligés de porter; remarquons que le rouge est aussi la couleur du sang que les communistes ont toujours fait couler à flots partout où ils sont arrivés au pouvoir. Les épaulettes jaunes ou bleues: le «jaune» est pour le chef de la classe et le «bleu» pour ses adjoints. Cette année-là, j'étais le détenteur des épaulettes jaunes et ma fiche de poste (et celles de mes adjoints) était simple: transmettre les ordres donnés par les professeurs, principalement par «Camarade Postolache», et veiller à ce qu'ils soient accomplis. Il nous donnait des ordres pour organiser le harcèlement ou d'autres formes d'abus contre ceux de nos collègues qui, selon lui, ne respectaient pas les «valeurs communistes». Les bons exécutants recevaient des médailles qu’on nous disait toujours de porter et d'en être fiers. Elles prouvaient que nous allions devenir les meilleurs cadres du Parti Communiste Roumain de demain. Aujourd'hui, il me semble que nous étions une sorte de Sonderkommando. Cependant, seuls quelques-uns d'entre nous en avaient, les autres ne les portaient que pendant le «Spectacle - Hommage». À la fin, elles devaient être rendues pour être utilisées par d'autres élèves; pour Postolache et les autres professeurs, elles n'étaient que de simples accessoires dans une pièce où nous jouions les figurants.

Ma peur
Il y avait une énorme pression dans l'air, et ce 23 août 1984, j'avais une peur terrible au ventre. Je me demandais sans cesse: et si je commettais une erreur? Et si je n'étais pas parfait? Que va-t-il m'arriver ? Qu'arriverait-il à ma famille? Souffriront-ils à cause de cela? Ce fut un stress énorme pour l'enfant que j'étais encore à l'époque. Mais tout s'est bien passé et rien de grave ne s'est produit. C'était presque un miracle, car je n'avais pas participé aux répétitions sans fin, ce qui était pourtant la règle pour les participants aux «Spectacles-Hommages».
Des répétitions sans fin
Les répétitions commençaient plusieurs mois à l'avance. Les participants arrêtaient le travail, ce qui, à l'époque, était appelé «sorties de production». En revanche, ils devaient se rendre chaque jour par leurs propres moyens au stade où le «Spectacles-hommages» allait se tenir. Ils devaient alors répéter les mouvements, les pas, les «Hourraaa!» et tous les autres éléments du «spectacle» pendant des heures et des heures, sous un soleil de plomb, sans manger ni boire jusqu'à la fin. Un véritable test d'endurance qu'il fallait absolument réussir, car tout échec pouvait être considéré comme un refus de se présenter (avec les conséquences montrées ci-dessus).
Je deviens une «carte bleue»
Le 23 août 1984, nous avons donc marché environ un kilomètre jusqu’à la station de métro la plus proche, puis pris le train pour un seul arrêt. Une fois arrivés devant le plus grand stade du pays, nous y restons deux heures sous un soleil de plomb (une journée comme celle-ci serait aujourd'hui signalée par un énorme «code rouge»). Une fois introduits dans le stade, on nous informe de nos rôles: moi, je vais être la «carte bleue numéro 191270» et ce sera mon nom durant tout le spectacle. Avec mes collègues et les 3 000 autres enfants désignés comme «carte», nous allions former des slogans tels que «Les colombes de la paix» et «Âge d'or»; je me rappelle avoir fait partie du groupe qui a créé ce dernier. Ces slogans tenaient à cœur au Camarade Dictateur Ceaușescu, qui voulait se vanter devant ses invités et le monde entier.

Le couple présidentiel et ses invités
Le stade est plein à craquer. Le camarade Dictateur Ceaușescu et son épouse sont installés dans la tribune officielle. C'est incroyable et effrayant pour moi de les voir là, sur le devant de la scène, avec leurs gardes du corps et leurs hommes de main les plus fidèles. Derrière eux se trouvent les autres: les ministres adjoints, les dirigeants syndicaux, les autres dirigeants d'ouvriers et les «meilleurs des ouvriers» (ceux-ci ne feront pas long feu à leur poste!). Le speaker du stade annonce les noms des dirigeants étrangers présents, dont les plus importants sont: Erich Honecker, président de l'Allemagne de l’Est, véritable «dinosaure communiste», Li Xiannian, président de la Chine, et José Eduardo dos Santos, président de l'Angola. Il y a d'autres dirigeants, moins importants. Je les vois tous derrière mon carton bleu et je frissonne de peur; le sang qu’ils ont fait couler pendant leur règne pourrait remplir le Pacifique.

«Le héros de la patrie»
Moi, tout ce que je voulais, c'était que cela se termine au plus vite pour que je puisse rentrer chez moi. Mais pour cela, il faut que je survive au «Spectacle-Hommage». Je me trouve de l'autre côté de la tribune officielle, où il est exposé un immense portrait du Dictateur. Près du portrait, un grand panneau porte les logos du Parti Communiste Roumain et de la République Socialiste Roumaine. En dessous, une immense banderole de propagande indique: «Vive le 40e anniversaire de la Révolution Socialiste, Antifasciste et Anti-impérialiste». Le drapeau national est présent partout, accompagné du drapeau rouge du Parti Communiste. Ceaușescu est présenté comme «le héros de la patrie», il est le principal bénéficiaire de l'événement; tout ce que nous faisons, c'est pour le «célébrer». Plus qu'une simple canonisation, il s'agit d'une déification, de sa transformation en Dieu sur terre. Et lui, il salue la foule d'un mouvement de main mécanique, presque ennuyé; il regarde le spectacle d'un air lointain, presque absent, déconnecté du fleuve multicolore de gens qui défilent devant lui.
L'ordre du défilé
C'est toujours l'Armée qui ouvre le défilé, suivie de la Milice (l'équivalent de la police actuelle, mais qui servait davantage à réprimer la population qu'à lutter contre la criminalité). Vient ensuite le cortège des «ouvriers»; appelés aussi la «classe ouvrière» ou «prolétariat», ils étaient présentés par la propagande comme l'un des composants du «socle du pouvoir» du Parti Communiste Roumain.
Les ouvriers
Derrière mon carton bleu, je voyais les ouvriers passer et applaudir le dictateur, prétendument pour lui témoigner leur amour; c'était de la mascarade: ils étaient forcés de le faire sous peine de sanctions. Les ouvriers venaient de différentes usines et tenaient de grandes maquettes des machines sur lesquelles ils travaillaient. Le speaker du stade les présentait selon le modèle suivant: «D'un pas vif, en cadence et parfaitement alignés, les ouvriers de l'usine X passent. Cette année, cette usine a reçu le drapeau de «Meilleure Entreprise» dans son domaine d'activité. À la tête de la colonne se trouvait le Camarade Ion Mischie, qui avait reçu le titre de «Meilleur Ouvrier». Il est en guerre contre le gaspillage et a économisé 100 pilules Vidia, l'équivalent en métal de trois moissonneuses-batteuses». Il est évident que le «Camarade Mischie» ne pouvait être repéré dans la foule, et il est très probable qu'il n'existait même pas. Peu importe, ce qui compte, c'est la mention de ses exploits professionnels, un élément important de la propagande communiste. Tout comme les «Engagements» de diverses entreprises.
L'engagement de 20 000 paires de chaussures
Je me souviens également d'un incroyable panneau d'affichage dont le message est resté à jamais gravé dans ma mémoire disant «L'entreprise Y s'engage à produire plus de 20 000 paires de chaussures supplémentaires dans les mois à venir». Pour moi, cet engagement était impressionnant et je me demandais à quel point il devait être difficile d'en produire autant. Plus tard, quand je ne trouvais pas de chaussures dans les magasins, je me demandais pourquoi il n'y en avait pas, alors qu'on en produisait autant. Pendant ce temps, dans le défilé, les ouvriers sont suivis par des paysans.

Les «Paysans»
Soi-disant, ils constituaient l'autre composante du «Socle du Pouvoir» du Parti Communiste Roumain. En réalité, les paysans de l'époque n'avaient rien à voir avec les fermiers d'aujourd'hui, si ce n'est qu'ils travaillaient également la terre. Mais dans des conditions indignes, car ils ne possédaient rien : ni les outils agricoles ni la terre. Le résultat de leur travail était pris gratuitement par l'État, à l'exception d'une très petite quantité suffisante pour ne pas mourir de faim. En bref, ils étaient pareils aux esclaves noirs sur les plantations de coton, par exemple; et le rôle du maître blanc était détenu par le chef du village, cacique du Parti Communiste. Ce dernier était également très blanc, car le racisme était institutionnalisé: les Gitans et toutes les personnes qui n'étaient pas «blanches comme neige» ne pouvaient pas devenir cadres du Parti Communiste Roumain. Des cadres qui n'étaient pas non plus des «intellectuels».
«Intellectuels»
L’appellation «intellectuels» désignait les personnes ayant fait des études supérieures. Ils ne bénéficiaient pas de la «grâce» du Parti communiste; trop «intelligents», ils étaient moins faciles à manipuler, à abuser et à effrayer. Dans le défilé, les «intellectuels» venaient à la fin. D'une pierre deux coups: 1) montrer qu'ils étaient la classe la plus basse de la société communiste; 2) les faire poireauter le temps que tous les autres passent.
«Les cartes»
La chorégraphie avec les «cartes» était très importante, un moyen privilégié de propagande communiste. Comme chaque participant, adulte ou élève, faisait partie d'une immense organisation, l'erreur n'était pas permise, sous peine de sévères punitions. Des «metteurs en scène» et leurs assistants se déplaçaient à quatre pattes entre nous, munis de mégaphones peu puissants pour transmettre les instructions de mouvement à des moments clés du spectacle. Nous les regardions, impressionnés par la façon dont ils s'acquittaient de leur tâche. Certains étaient rouges de tension et de stress, et on aurait pu penser qu'ils allaient être frappés par une apoplexie à tout moment. Malheureusement, cela ne s'est pas produit dans la zone où je me trouvais le 23 août 1984. À un moment, à notre droite, l'un d'entre eux, le visage rouge, semblait sur le point de mourir d'une crise cardiaque en nous criant: «Les jaunes: 1, 2, 3, 4, 5! Retournez vers la droite» et «les bleus: 1, 2, 3, 4, 5! Retournez vers la gauche!». Il nous indiquait ainsi comment nous devions bouger pour former les slogans que Ceaușescu, ses invités et le monde entier devaient voir. Nous devions tous montrer nos «cartes» tout en criant au monde entier: «Ceaușescu est aimé par la jeunesse du pays». Moi, sous la «carte bleue numéro 191270», et des milliers d'autres jeunes sans visage, cachés sous leurs «cartes».
Ce que média communiste a écrit
Voici un extrait d’un article paru dans le journal officiel du Parti Communiste Roumain («L’Humanité» de Roumanie): «Dans une atmosphère de forte ferveur, de fierté patriotique pour les grandes réalisations de notre présent socialiste et de confiance dans l'avenir communiste de la patrie, le peuple roumain, étroitement uni autour du Parti et de son secrétaire général, le Camarade Nicolae Ceaușescu, a célébré jeudi: les 40 ans de la lutte antifasciste et le 40éme anniversaire de la révolution antifasciste, anti-impérialiste, de libération sociale et nationale, un événement d'une importance cruciale pour le destin du pays, qui a ouvert une nouvelle ère dans l'histoire de la Roumanie et dans son développement sur la voie de l'indépendance nationale et du progrès social» - Fin de la citation!

Quatre ans plus tard
Nous sommes le 23 août 1988, un matin. Une fois de plus, je suis convoqué en urgence à l’école pour participer au «Spectacle – Hommage», mais la donne a changé: je suis à l’aube de mes 18 ans, et je ne suis plus seul et apeuré. Avec Angelo, nous formons une «équipe de rêve»: nous sommes Rockers fans de Métal et karatékas, des personnes très défavorablement connues pour de multiples entorses aux «valeurs communistes» (et pour de très bonnes raisons: ceux comme nous se retrouveront en première ligne de la Révolution qui a fait tomber le régime communiste de Ceaușescu le 22 décembre 1989). Autrefois, nous aurions ignoré cette convocation et rien n'aurait pu être fait contre nous. Cette fois, nous allons faire le contraire: nous irons pour y mettre notre grain de sel. Quelques semaines auparavant, un voyage dans l'un des massifs les plus difficiles de Roumanie avait achevé notre mue en gens sans la moindre peur, compréhension ou respect pour le régime communiste (voir «Retezat 1988 — Quand tout a commencé»).
Ma (petite) revanche
Angelo et moi nous présentons donc devant la Camarade Mincu, la Cheffe communiste du lycée, une Passionaria de la Roumanie qui avait des orgasmes à répétition en écoutant les discours du Camarade Dictateur Ceaușescu. À sa demande d'assurer que tous les élèves de notre classe passent devant le Camarade Dictateur Ceaușescu, nous nous engageons solennellement à ce que «tout se passe comme il faut». Et c'est vrai que tel fut le cas: personne de notre classe n'est même arrivé aux abords de la place du «Spectacle-Hommage». Personne n'a non plus été rattrapé par les patrouilles mises en place pour empêcher les gens de fuir. Autrement dit, nous avons fait un sans-faute. Et nous, George et Angelo, sommes partis en dernier, pile au moment où la colonne de notre lycée arrivait devant le stade, les enseignants et les miliciens courant derrière nous comme des dératés. Pour pimenter les choses, une fois que nous avions pris une avance de quelques dizaines de mètres, nous nous sommes arrêtés et nous leur avons envoyé des baisers en l'air.
Epilogue
À la rentrée, nous avons été convoqués pour des «graves manquements aux valeurs communistes». Notre défense a été simple: nous avions tenu notre parole et procédé comme convenu. Preuve en est: personne de notre classe n'est arrivé au stade et personne n'a été rattrapé. Telle était la teneur de notre parole. C'était leur faute de ne pas avoir compris ce que nous voulions dire par nos mots «comme il faut», de ne pas avoir compris que nous «jouions» avec les mots; cela prouvait leur incompétence. Après la Révolution, nous allions faire de belles carrières en «jouant» avec les mots: moi comme journaliste et Angelo comme avocat. Et aujourd'hui, quarante ans plus tard, nous continuons à «jouer» avec les mots par le biais de notre blog.




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