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TRAVAUX AGRICOLES… POUR RIEN

angelogeorge988

Pour les régimes communistes du monde entier, les enfants sont une ressource précieuse, une main-d'œuvre gratuite et corvéable à merci. Ils sont contraints de travailler dur dans l'industrie et/ou l'agriculture durant toute leur scolarité. C'est ce qui s'est passé avec la Roumanie du Camarade Dictateur Ceauşescu avant 1989. En 1988, alors que nous, moi et George, étions au lycée, nous avons également été forcés de travailler dans l'agriculture, c'est-à-dire de faire de la "pratique agricole". Nous expliquerons ensuite les raisons pour les quelles les enfants étaient contraints de travailler dans ce secteur.

Élèves de classe de 11e, en train de trier des pommes de terre, 1988.
Élèves de classe de 11e, en train de trier des pommes de terre, 1988.

Les "travaux scolaires" - dictionnaire

L'exploitation des enfants était appelée "travaux scolaires". Il y avait d'une part les travaux réalises dans les ateliers de l'école et dans des usines, appelés "travaux scolaires industriels", que nous avons longuement décrits dans notre publication "Travaux scolaires ....pour rien". Les autres travaux concernaient l'agriculture ou étaient liés à celle-ci. Ils étaient officiellement appelés "travaux scolaires agricoles" ou "travaux agricoles" dans le langage courant. Ils étaient effectués principalement pendant les vacances scolaires et les jours fériés. Mais, dans les dernières années du régime du Camarade Dictateur Ceauşescu, le champ de ceux-ci a été étendu aux travaux de construction de bâtiments sur des chantiers. Le temps consacré à l'école a bien sûr été fortement réduit pour faire place à ces activités. Qu'il soit claire: le Camarade Dictateur Ceauşescu et le Parti Communiste voulaient le plus de travailleurs possible et le moins d'intellectuels.

Élèves de l'école primaire en train de cueillir des poivrons, 1984.
Élèves de l'école primaire en train de cueillir des poivrons, 1984.

Les précurseurs: les "brigadiers"

Après la Seconde Guerre mondiale, le pays n'est qu'un champ de ruines sous occupation russe. Les Russes saisissent toutes les occasions de piller les ressources naturelles et les richesses du pays. Pour le reconstruire, les Russes imposent le travail forcé avec ses avantages: absence de règles de sécurité, travail six jours sur sept sans être payé. Mais avec qui? Utiliser les "ennemis du peuple" (c'est-à-dire les personnes qui ne sont pas d'accord avec le régime communiste imposé par les Russes) n'est pas une solution viable. Les effectifs de la police secrète communiste ne sont pas encore suffisants pour les surveiller et les réprimer. Les Russes demandent alors la formation de "brigades du travail" composées de jeunes surnommées "brigadiers". Cette solution a été couronnée de succès: des voies ferrées, des tunnels, des bâtiments et des sites d'entreprises ont pu être construits à moindre coût financier. Le coût en vies humaines est bien sûr inconnu, mais il a dû être très élevé. Ceauşescu a relancé ce programme lorsqu’il a décidé de faire de la Roumanie une "puissance économique importante".

Brigadiers des années 50, à Salva Vișeu. En haut à droite, le portrait de Staline.
Brigadiers des années 50, à Salva Vișeu. En haut à droite, le portrait de Staline.

La folie "industrielle" de Ceauşescu

Doté d'une personnalité mégalomaniaque, il souhaitait marquer l'histoire en tant que "bâtisseur", à la manière d'un pharaon du XXème siècle. Devenu dirigeant de la Roumanie en 1965, il a commencé à montrer sa véritable nature à partir de 1971, une fois qu'il a consolidé son emprise sur le pouvoir. Des plans pour construire de nombreuses usines ont donc été conçus et mis en œuvre sous sa supervision directe. Son but: faire de la Roumanie un pays autarcique, capable de produire en interne tous les équipements dont elle a besoin, des moissonneuses-batteuses aux avions. Vers 1980, une base industrielle surdimensionnée dépassant largement les besoins réels du pays était enfin en place.

Nicolae Ceaușescu, lors de l'une de ses nombreuses visites de travail, dans les champs de la patrie. Ici, dans le département de Focșani, 1978.
Nicolae Ceaușescu, lors de l'une de ses nombreuses visites de travail, dans les champs de la patrie. Ici, dans le département de Focșani, 1978.

La folie des "bâtiments" de Ceauşescu

Il se tourna alors vers un nouveau projet: raser tous les bâtiments anciens pour les remplacer par des constructions neuves. Peu importait leur valeur culturelle ou historique, tous devraient disparaître (nous publierons prochainement un article sur ce sujet). Des chantiers ont donc été ouverts partout dans le pays. Le problème était que la Roumanie ne disposait pas d'une main-d'œuvre suffisante pour réaliser tous les projets mégalomaniaques du Dictateur. Il avait toutefois des solutions, à commencer par l'interdiction de l'avortement.

L'interdiction de l'avortement a été une mesure drastique, mise en place par le régime de Ceaușescu en 1966.
L'interdiction de l'avortement a été une mesure drastique, mise en place par le régime de Ceaușescu en 1966.

L’interdiction de l’avortement

Le pays comptait alors environ vingt millions d'habitants, un chiffre insuffisant pour permettre la réalisation les projets démesurés du Camarade Dictateur Ceauşescu. Ce qui l’a poussé à prendre des mesures fortes pour stimuler massivement les naissances et augmenter le taux de natalité. La mesure la plus importante: l’avortement est devenu un crime passible de lourdes peines de prison. Toute pratique liée à l’avortement, y compris le non-dénonciation et les actes préparatoires, ont été durement réprimés. Des drames innombrables en ont suivi. Accessoirement, l’homosexualité a également été considérée comme une infraction et punie de la même manière, car ce type de relation sexuelle ne permet pas de concevoir des enfants. Comme celles-ci ne règlent le problème du manque de main-d’œuvre que sur le long terme, d’autres solutions à court terme sont nécessaires.

Nicolae Ceaușescu adorait s'entourer de pionniers, lycéens et étudiants. La Salle du Palais, 1983.
Nicolae Ceaușescu adorait s'entourer de pionniers, lycéens et étudiants. La Salle du Palais, 1983.

Les "Brigadiers" refont surface

Ceauşescu a fait partie de l’appareil du Parti communiste qui a mis en œuvre, surveillé et instrumentalisé les "brigades du travail" d’antan. Cela lui a permis d'avoir une connaissance directe des avantages considérables de cette pratique. Il a donc décidé de relancer ce dispositif à une échelle encore plus grande. Car les "brigadiers" d’antan étaient en effet des jeunes gens âgés de 17 à 25 ou 26 ans, et la durée de participation à une "brigade du travail" était de quelques mois à deux ou trois ans au maximum. De plus, seuls une partie des jeunes concernés y participaient, même si cette partie était importante. À partir des années 1970, sur l’ordre de Ceauşescu, tout le monde était concerné: enfants, adolescents et jeunes adultes, de l'école primaire jusqu'à l'université. Ils ont donc été mobilisés pour effectuer diverses tâches dans l’industrie et l’agriculture.

Jeunes brigadiers envoyés sur le chantier national du Danube-Mer Noire, 1982.
Jeunes brigadiers envoyés sur le chantier national du Danube-Mer Noire, 1982.

Les conditions de travail étaient misérables

En effet, le travail dans l’agriculture était difficile, soumis aux caprices de la météo et aux intempéries. De plus, les surveillants, en règle générale, étaient des apparatchiks issus des rangs inférieurs du Parti communiste romain. Ils abusaient de leur position temporaire pour se donner l'illusion du pouvoir. En réalité, ils n’avaient autorité que sur les élèves et les étudiants envoyés faire des "travaux agricoles". Ces derniers devaient travailler sans n’être payés ni équipés de protections spécifiques. Ils n'avaient pas non plus d'horaires précis, étant forcés de travailler toute la journée jusqu’au tard dans la soirée pour terminer les tâches qui leur étaient assignées

Élèves de l'école primaire, avec leur professeur coordonnateur, Tulcea 1981.
Élèves de l'école primaire, avec leur professeur coordonnateur, Tulcea 1981.

Discrimination

Sur le papier, tous les élèves et étudiants devraient travailler dans l’agriculture. Dans les faits, dans les années 1970, seuls les enfants résidant dans les communes et villages avaient le "privilège" d'effectuer ce type de travail. Les enfants des villes, eux, étaient affectés à des tâches plus simples: cueillette de plantes médicinales, élevage du ver à soie, collecte de matériaux à recycler, etc. La situation a changé dans les années 1980, quand un nombre croissant de paysans ont été transformés en ouvriers pour répondre aux besoins imposés par la création d'une base industrielle surdimensionnée. Leur départ a forcé les enfants des villes à participer réellement aux travaux agricoles, en effectuant des tâches spécifiques dans les champs. Eux qui ne savaient rien de l'agriculture ont dû se qualifier sur place pour effectuer diverses activités: la récolte des épis de blé, des pommes de terre, le triage des betteraves à sucre ou le décorticage du maïs, la cueillette des fruits, et bien d'autres tâches.

Lycéens de 9e, en stage agricole pour égrainage du maïs, 1978.
Lycéens de 9e, en stage agricole pour égrainage du maïs, 1978.

La "mécanisation" ratée

Pour compenser l’exode rural qui a conduit de nombreux paysans à devenir ouvriers, le régime communiste a tenté de mécaniser l’agriculture. Le nombre de tracteurs et d’autres machines agricoles dans les champs a alors explosé jusqu’à la fin des années 1970. Cependant, le nombre de pièces détachées, de consommables et de mécaniciens n’a pas suivi le rythme de croissance et a même commencé à baisser. Le nombre de machines défaillantes et, par conséquent, inutilisables, ne cessait d'augmenter. De plus, la situation s'est aggravée radicalement dans les années 1980, avec une baisse de plus en plus marquée du nombre d'engins disponibles pour l’agriculture. La raison: la plupart devaient être exportées pour permettre à la Roumanie de rembourser intégralement sa dette externe (il s'agissait d'un autre projet mégalomaniaque du Camarade Dictateur Ceauşescu). Par conséquent, il est devenu nécessaire d'assurer la présence d'un nombre toujours plus grand d'élèves et d'étudiants pour pallier le manque croissant de machines agricoles utilisables. Pour atteindre cet objectif, des stratégies telles que "la meilleure classe" et "l’autofinancement" ont été mises en place.

Lycéens de 10e, en train de cueillir du maïs dans le Bărăgan.
Lycéens de 10e, en train de cueillir du maïs dans le Bărăgan.

"Meilleure classe"

Le ministère de l'Éducation Nationale a lancé des concours, appelés "La meilleure classe/école". Les classements sont établis en fonction des résultats obtenus dans les activités agricoles (nombre de tonnes de pommes de terre ou de maïs récoltées, de pommes ou de raisins cueillis, etc., ainsi que du nombre de participants). Les promotions dans la hiérarchie et de nombreux autres avantages sont attribués en fonction de la place occupée dans ces classements. Par conséquent, une concurrence féroce s'est installée entre des cadres (directeurs et directrices d'école, professeurs principaux, inspecteurs de l’éducation nationale, etc.) pour obtenir des meilleures performances. La direction des écoles, des lycées et des universités, ainsi que les professeurs, se préoccupent donc davantage des résultats aux "travaux agricoles" que des résultats aux examens.

Il a chargé le camion de betteraves à sucre.
Il a chargé le camion de betteraves à sucre.

L’autofinancement

L’appétit des élèves et des étudiants pour de telles activités frôlait le niveau zéro. Qui aurait voulu travailler durement dans des champs agricoles pendant les vacances à cet âge? De plus, ce travail n'était pas rémunéré! Personne. Afin de les convaincre de travailler volontairement et d'obtenir de meilleurs résultats, un élément a été introduit dans l'équation: l'autofinancement par ce travail. Une partie de la valeur de leur travail serait reversée au budget de l'école pour améliorer ses installations, notamment les terrains de sport et le matériel de laboratoire. On a donc dit aux élèves: "Voulez-vous un meilleur terrain de sport ou une meilleure dotation? Vous devrez alors récolter plus de pommes de terre, cueillir plus de fruits, etc.". Bien sûr que cette stratégie n’a pas été payante et qu'elle n’a pas réellement fait augmenter la valeur réelle des résultats des diverses activités agricoles. À l'opposé de ce que la propagande disait.

En train de cueillir des raisins, Tecuci 1975.
En train de cueillir des raisins, Tecuci 1975.

La propagande

Une fois que Ceauşescu a donné l’ordre de faire travailler les enfants et les jeunes, l’appareil de propagande s’est mis en marche, produisant à la chaîne des pièces glorifiant la participation à de telles activités. Des articles de journaux, des productions télévisuelles et cinématographiques, des livres: tout y passait (voir plusieurs exemples à la fin). Au fil des années 1980, le nombre de telles publications n'a cessé d'augmenter. Le nombre de participants aux "travaux agricoles" et leur enthousiasme aussi. Dans le même temps, les résultats dépassaient toutes les attentes, et ce de plus en plus d’une année à l’autre. La production agricole, et notamment celle obtenue grâce au travail des élèves et des étudiants, connaissait donc une croissance fulgurante. Mais tout cela n'était que sur le papier. En réalité, c'était plutôt l'envers. Qu’il soit très clair: personne n’avait intérêt à dire la vérité. Tout le monde a donc menti effrontément en donnant des chiffres gonflés. Les responsables des "travaux agricoles" le faisaient dans le but de bénéficier de promotions ou d'autres avantages, voire pour éviter des sanctions. Les bénéficiaires, à savoir les fermes d’État, craignaient de perdre cette main-d'œuvre gratuite et corvéable à merci. Ceux qui auraient dû les vérifier ou les contrôler, en échange de pots-de-vin conséquents, le faisaient aussi. Résultat: plus les chiffres rapportés par la propagande étaient grands sur le papier, plus ils étaient petits dans la réalité. Ce qui n’était que la normalité, étant donné que la participation à de telles activités était de plus en plus considérée comme une malédiction. D’où les stratégies de plus en plus sophistiquées mises en place par nombre d'élèves et d'étudiants pour s’échapper. Ce qui n'a pas été le cas pour nous, pour moi et pour George, ainsi que pour nos collègues de la classe.

Ceaușescu inspectait la production agricole, tandis que les présidents des conseils l'accompagnaient dans le champ de blé.
Ceaușescu inspectait la production agricole, tandis que les présidents des conseils l'accompagnaient dans le champ de blé.

La "classe des indomptables"

Le lycée que nous avons fréquenté, de 1985 à 1989, à Bucarest, la capitale de la Roumanie, était l’équivalent roumain du lycée Louis-Le-Grand. Comment moi et George, venant des quartiers malfamés, avons-nous pu y accéder? C'est un mystère. Une fois réunis, nous avons immédiatement constitué notre équipe et décidé de mener notre vie d'adolescents comme nous l'entendions. Nous avons donc fait fi des efforts des professeurs. Ils voulaient faire de nous de parfaits petits toutous obéissants et sans esprit critique, à l'image de l’"homme socialiste multilatéral développé" voulu par Ceauşescu et son Parti communiste. C’est raté. Nous sommes devenus rockers (fans de métal) et avons commencé à pratiquer les arts martiaux, des activités que le régime honnissait. Pour nous "dompter" et nous faire rentrer dans le "moule communiste", la direction du lycée a demandé à nos camarades de classe de nous isoler et de nous harceler. Quelle bavure! Car très vite, ils sont passés de leur côté et ont accepté qu’il valait mieux être avec nous que contre nous. C’est ainsi que notre classe est devenue la "classe des indomptables".

La façade de notre lycée, Mihai Viteazul à Bucarest.
La façade de notre lycée, Mihai Viteazul à Bucarest.

Nous oublier?

Pour cette raison, la direction du lycée a choisi de nous impliquer le moins possible dans les activités tant prisées par le régime communiste, notamment celles liées à l’agriculture. Ce choix était d'autant plus pertinent que nos résultats étaient catastrophiques concernant les "travaux scolaires industriels". Et notre conduite lors de la manifestation du 1er Mai 1987 leur a donné des cauchemars pendant plusieurs mois après les faits (lisez "La Grande Évasion"). Cependant, au terme de la troisième année du lycée, ils ont dû penser que nous étions désormais plus "sages", à l'aube de notre majorité. Et que nous accepterions plus facilement le diktat de la société communiste. Ils nous ont donc convoqués pour les "travaux scolaires agricoles" de l'été 1988. Quelle erreur! Nous étions aujourd’hui encore moins malléables qu’auparavant. Rien de plus normal après avoir commis tant d'entorses aux "valeurs communistes" que nos professeurs avaient tenté de nous les enseigner durant les années du lycée. D’où notre décision.

Les lycéens étaient souvent sortis de leurs classes pour récolter des légumes, quel que soit la saison.
Les lycéens étaient souvent sortis de leurs classes pour récolter des légumes, quel que soit la saison.

La décision

Samedi, début juillet 1988, c’est la fin de l’année scolaire. Les cérémonies de remise des prix, des médailles et d’autres distinctions se tiennent dans la salle des festivités du lycée. Ces récompenses sont remises aux lycéens qui ont obtenu de bons résultats lors des diverses compétitions et olympiades scolaires. Mais principalement dans les activités plébiscitées par les autorités communistes, les "travaux scolaires pratiques" arrivant en tête de liste. Cette situation était extrêmement ennuyeuse pour nous qui n’avions rien à gagner de tout cela. En effet, le prix de "la classe la plus mauvaise" par rapport aux "valeurs communistes" n'était malheureusement pas décerné. Nous nous sommes donc consacrés à nos activités habituelles: jeux d’échecs et de cartes, bavardages et écriture du roman "Aigle" pour Angelo. Ce qui explique que nous avons raté l’annonce selon laquelle notre classe était désignée pour participer aux "travaux agricoles" avec d'autres classes. Et cela à partir de lundi prochain, à 6 heures du matin, 6 jours sur 7, pour plusieurs semaines pendant les vacances d'été. C'est pourquoi le choc a été si grand quand notre professeur principal nous en a informés à la fin des festivités. Une réunion de crise s’est immédiatement tenue au Pati-Bar (une pâtisserie voisine du lycée, une vraie institution pour les élèves). La décision a été prise rapidement et à l'unanimité: nous n'allions pas nous laisser faire. Et nous les avons prouvés dès le premier jour.

En train de cueillir du panais, dans le département d'Ilfov, 1986.
En train de cueillir du panais, dans le département d'Ilfov, 1986.

Premier jour: les "disparitions"

Lundi matin, à 5 heures du matin, George et moi sommes les seuls de notre classe à être présents au point de rassemblement, devant le lycée. À l'inverse de nous, les autres élèves convoqués pour des "travaux agricoles" sont presque tous là. 15 minutes plus tard, ils montent dans les cars mis à disposition par la ferme de l’État où nous devions travailler et partent. Et soudain, par miracle, nos collègues commencent à arriver les uns après les autres. Finalement, à 6 heures, nous sommes tous là et nous partons avec le dernier car, sous la surveillance d'une professeure. Nous nous arrêtons peu après, car une fille a le mal des transports. Pendant que la professeure était sortie avec la fille pour la soigner, un collègue doué ouvrit manuellement la porte arrière du car et plusieurs s'échappèrent par là-bas. Nous repartons seulement pour faire une nouvelle halte quelques minutes plus tard. Cette fois, c’est moi, Angelo, qui fais une crise de panique aiguë à cause du bus: je tremble de tout mon corps. La professeure a dû demander l'aide du conducteur et de plusieurs collègues pour me stabiliser. Et quand nous sommes revenus en bus, ni la professeure ni le conducteur ne se sont rendus compte qu'il ne restait que nous dans le véhicule.

En train de cueillir des pommes, étudiants d'Arad.
En train de cueillir des pommes, étudiants d'Arad.

Premier jour: nous partons aussi

Une fois arrivés sur le site de la ferme de l’État, la professeure découvre le pot aux roses: il n’y a plus personne d'autre que nous dans le bus. Sous le choc et ne comprenant rien de ce qui s'est passé, elle est totalement dépassée. On nous demande donc de rester sur place pendant qu'elle cherche quelqu'un pour prendre des mesures. Ce qui s'est révélé être une mauvaise idée: une fois qu'elle est partie vers le bâtiment où les autres professeurs devraient se trouver, nous avons fait de même. Mais nous avons pris la direction opposée à travers des champs, de sorte qu'ils ne puissent pas nous pister et nous suivre. Quelques centaines de mètres plus loin, nous sortons sur un chemin de terre que nous suivons jusqu'à une route empruntée par les transports en commun. Notre première journée de "travaux agricoles" s'est achevée sur une terrasse, autour d'une bière. Pour nous désaltérer après la route, mais aussi pour fêter notre réussite.

En train de planter des légumes dans les champs de la patrie.
En train de planter des légumes dans les champs de la patrie.

Deuxième jour: la garde aux pommes de terre

Le matin, pas moins de trois professeurs nous attendent devant le lycée pour nous escorter jusqu’à la gare Obor (l’équivalent de la Gare de l’Est à Paris), où nous devons décharger des wagons de pommes de terre. Une fois arrivés sur place, nous sommes confiés aux deux responsables de l’organisation du Parti communiste de la ville. Ils devaient nous surveiller et nous faire travailler "comme il faut". Nous aurions dû entendre de leur bouche un long discours rempli de platitudes sur l’importance de notre travail pour le pays et notre devoir de nous sentir fiers d'avoir été choisis pour le faire. Heureusement, celui-ci est vite expédié, car les wagons sont garés sur le quatrième quai de la gare. Selon eux, "des gangs de gitans n’attendent que le moment opportun pour les piller". Nous devons donc non seulement décharger les wagons, mais aussi assurer la sécurité de leur contenu et empêcher toute tentative de pillage. Lorsque nous leur demandons comment de prétendus "gitans voleurs" y arrivent, ils nous guident à travers les quais jusqu'à l'autre extrémité de la gare. Un immense trou y a été percé dans le mur d'enceinte. "C’est par ici qu’ils entrent et sortent avec la richesse du pays", nous disent-ils.

Le tri des pommes de terre était un travail difficile et épuisant. Bucarest, derrière le marché Obor.
Le tri des pommes de terre était un travail difficile et épuisant. Bucarest, derrière le marché Obor.

"Coopération" avec les autorités

Un rapide échange de regards entre moi et George devant le trou suffit à mettre au point un plan. Moi, Angelo, propose que des filles restent en faction pour observer si quelqu'un passe et qu'elles donnent l'alarme si nécessaire. George surenchérit en disant que d'autres filles doivent monter la garde le long des quais. Leur mission consistera à repérer d'éventuels voleurs cachés là pour attendre le moment opportun afin de dérober les richesses du pays. Les deux surveillants nous félicitent chaleureusement pour notre "esprit civique éclairé" et notre dévouement aux "valeurs d'éthique et d'équité communistes". Nous les écoutons en faisant semblant d'être enchantés, pendant que nos collègues font des efforts surhumains pour dissimuler leur amusement. De retour aux wagons avec pommes de terre, nous commençons à décharger la marchandise avec entrain. Hélas, moins de vingt minutes plus tard, l'une d'entre elles vient en courant pour annoncer le passage d'au moins dix personnes, toutes munies de grands sacs, par le trou. Peu après, une autre collègue vient informer qu'elle les a vus se déplacer le long des quais. Les deux responsables paniquent et nous ordonnent de rester sur place pour garder les wagons. Eux, ils vont aller chercher les forces de l’ordre pour arrêter les voleurs.

Les élèves et les étudiants travaillant à la houe sur les chantiers de la patrie, ici près d'une mine à ciel ouvert dans les Apuseni.
Les élèves et les étudiants travaillant à la houe sur les chantiers de la patrie, ici près d'une mine à ciel ouvert dans les Apuseni.

Notre collègue acrobate

Un fou rire causé par leur naïveté nous secoue pendant plusieurs minutes avant que nous puissions le maîtriser. Nous quittons ensuite les lieux en nous dirigeant vers le trou pour sortir du périmètre de la gare sans risquer de croiser nos surveillants. Afin de raccourcir la route, nous avons choisi de monter et descendre dans les trains de marchandises stationnés là au lieu de les contourner. Pendant qu'une de nos collègues traversait un train, celui-ci a commencé à se déplacer. Nous avons couru après lui en lui criant de sauter, par peur qu'il ne l'emmène on ne sait où. Effrayée par cette perspective, elle a accepté et a sauté vers nous. Nous nous sommes bien placés pour la réceptionner dans nos bras et l'empêcher de tomber par terre. La partie drôle? C'était pour rien, car le train s’est arrêté quelques dizaines de mètres plus loin. Il ne partait pas de la gare, mais il a tout simplement changé de position. C'est ainsi, en riant de cette mésaventure, que nous avons traversé le trou et pris la direction d’une terrasse pour fêter la réussite de notre deuxième journée de "travaux agricoles".

Après la récolte, les sacs de pommes de terre étaient transportés vers les grands marchés de la capitale ou vers les zones avoisinantes.
Après la récolte, les sacs de pommes de terre étaient transportés vers les grands marchés de la capitale ou vers les zones avoisinantes.

Troisième jour, le chantier de la patrie

Le troisième jour, c'est le proviseur lui-même qui nous attendait devant le lycée pour nous réprimander, principalement moi et Georges, au sujet de notre conduite durant les premiers jours des "travaux agricoles". Il nous a ensuite donné les consignes pour la journée: nous rendre sur un chantier de bâtiment afin de récupérer des briques qui seraient utilisées pour des travaux à la Maison du Peuple (aujourd’hui le Palais du Parlement). Après l’avoir écouté attentivement, George et moi avons fait notre autocritique. Nous nous sommes fermement engagés à adopter un comportement digne des membres de l'U.T.C. (Union de la Jeunesse Communiste Roumaine) et à respecter les valeurs d'"éthique communiste et d'équité". Nos collègues, secoués par des rires fous dès que le proviseur s'était détourné de nous, ont qualifié notre prestation de haute qualité artistique. Surveillés étroitement par plusieurs professeurs, nous sommes arrivés sur le chantier où nous avons été confiés à une équipe de maçons. Ils nous ont amenés devant trois bâtiments à moitié démolis et nous ont montré comment récupérer toutes les briques en bon état, notre tache de la journée. Celles-ci devaient ensuite être rangées en attendant le camion pour les y charger. Puis ils sont partis effectuer leur travail en nous disant qu’ils reviendraient plus tard pour voir comment nous nous débrouillions.

Le chantier du centre de la capitale, nommé "Victoria du Socialisme", était un symbole du régime de Ceaușescu.
Le chantier du centre de la capitale, nommé "Victoria du Socialisme", était un symbole du régime de Ceaușescu.

Le concours

À cette époque, les films d'arts martiaux dans lesquels des pratiquants cassaient des briques par des coups incroyables étaient légion. Comme nous sommes nous-mêmes karatékas, nos collègues nous ont demandé de faire de même. Après plusieurs essais, plusieurs échecs. Énervés qu'ils se moquaient de nous, j'ai lancé une brique vers le mur avec force et le résultat a été spectaculaire: elle s'est cassée en de nombreuses petites pièces qui sont parties dans toutes les directions. Le mur a même tremblé légèrement. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un concours de lancer de briques dans les murs qu'ils étaient encore debout. Deux concours en un! Une épreuve de précision: atteindre une cible tracée sur le mur avec une brique jetée à une certaine distance. La deuxième épreuve consistait à obtenir la casse la plus spectaculaire d’une brique. Faire tomber le mur nous donnait des points bonus.

Même sur le chantier de la Maison du Peuple, nous nous amusions parfois, malgré la fatigue et le travail physique épuisant.
Même sur le chantier de la Maison du Peuple, nous nous amusions parfois, malgré la fatigue et le travail physique épuisant.

Le résultat de notre "travail"

Nous ne nous rappelons plus qui a eu l’idée du concours ni qui l’a gagné. En revanche, nous nous rappelons très clairement le résultat: des innombrables briques cassées, irrécupérables et bonnes uniquement pour la déchetterie. Qu'en est-il des murs qu'ils étaient debout à notre arrivée et d'où nous aurions dû récolter les briques destinées à être réutilisées? Après notre passage, ils apparaissent comme démolis plus efficacement qu’avec une boule de démolition. Et quand il n’y a plus rien à casser, nous nous sommes tranquillement carapatés vers une terrasse. Car fêter la "réussite" d’une nouvelle journée de "travaux agricoles" était devenu une habitude chez nous.

Parfois, les jeunes étaient envoyés pour creuser des fossés dans les champs, un travail dur et épuisant.
Parfois, les jeunes étaient envoyés pour creuser des fossés dans les champs, un travail dur et épuisant.

Quatrième jour: au balaie, les camarades!

Terrifiée par nos frasques des jours précédents, la direction du lycée a décidé de nous garder à la "maison" pour ce jour-là. On nous a donc donné pour mission de nettoyer les environs du lycée sous la supervision de Negulescu. Celui-ci ne nous connaissait que trop bien, car il fut notre responsable des "travaux scolaires industriels" pendant nos deux premières années de lycée (lisez "Travaux scolaires... pour rien"). Le dernier chose qu'il aurait voulu, c'était de passer du temps avec nous. De plus, notre mission frisa l'absurde, car la "matière première" manquait à l'appel. Il n'y avait pas de feuilles, car les arbres étaient rares, à l'exception de quelques spécimens chétifs à l'entrée du lycée. Il n'y avait rien d'autre à balayer que la poussière qui hantait la Roumanie dans ces années-là. Nous l’avons dit à Negulescu qui nous a répondu: "Peu m'importe, trouve quelque chose pour caresser ton balai." Au son de cette métaphore, nous avons immédiatement éclaté de rire. Quelqu’un a fait la remarque qu’il avait plus de neurones qu’avant de nous avoir eus pour élèves.

Le tour et la fraiseuse, des outils essentiels pour la formation des futurs ouvriers dans l'industrie nationale.
Le tour et la fraiseuse, des outils essentiels pour la formation des futurs ouvriers dans l'industrie nationale.

Jules Verne et l'esclavage moderne

Nous avons commencé le balayage avec d'énormes balais d'un poids considérable et nous avons plaisanté en disant que nous faisions de la "musculation". En peu de temps, George et moi nous sommes arrivés devant la librairie située à côté du lycée, là où nous achetions nos livres. Nous avons bien sûr arrêté de balayer et sommes entrés dans le magasin. La vendeuse nous aimait bien et disait que nous étions les plus fervents lecteurs et acheteurs de livres de toute l'histoire du magasin. Pour ne pas la contredire, nous avons acheté le paquet qui contenait Capitaine à 15 ans de Jules Verne! Le livre présentait de fascinantes similitudes, car il traitait de l'esclavage. Alors que nous imaginions les aventures de l'orphelin Dick Sand à bord de la goélette Pilgrim, nous étions nous-mêmes esclaves d'un système qui nous poussait à atteindre la propreté parfaite en frottant les trottoirs de la mère patrie. Mais, tout comme Dick Sand, nous avons trouvé notre propre moyen de nous rebeller.

La poussière et le Pati-bar

Et c'est parti, nous allons nous déchaîner! Negulescu se cache quelque part pour éviter de nous avoir à faire. Mais aussi pour tenir une conversation sophistiquée avec la bouteille d'alcool que notre collègue Delia lui avait apportée. Nous avons commencé par "attaquer" le Pati-Bar, profitant de son absence. Tout d'abord, nous avons fait une razzia et acheté la plupart des produits pour nous et nos collègues. Une fois qu’on a fini de tout manger, un "commando" formé de moi, de George, de Narcisa et de Delia se met à balayer frénétiquement devant et dans les alentours du magasin. En peu de temps, la poussière épaisse soulevée par nos balais s'était agilement déposée sur les produits restants. C’était cruel pour délicieux gâteaux et pâtisseries, mais... "À la guerre comme à la guerre". Par la suite, nous nous sommes amusés en regardant les passants les acheter, les manger et se plaindre d'un goût métallique sur la langue. Face aux reproches que nous a adressés la vendeuse, nous lui avons gentiment conseillé de demander des dédommagements au lycée. Et, comme d’habitude, après avoir accompli notre "bonne action" du jour, nous avons repris notre vie d'adolescents immunisés contre les "valeurs communistes" de l'époque.

Liceenii (1986), réalisé par Nicolae Corjos, est un film célèbre qui reflète avec sensibilité et humour les réalités de l'adolescence dans les années 80.
Liceenii (1986), réalisé par Nicolae Corjos, est un film célèbre qui reflète avec sensibilité et humour les réalités de l'adolescence dans les années 80.

Cinquième jour: Martin, SS et karatéka

Le matin, un proviseur radieux nous a rencontrés devant le lycée pour nous féliciter pour notre travail d'hier. Il est très probable que Negulescu lui ait menti effrontément en lui faisant croire que nous avions fait du très bon boulot. Il semblerait également que le Pati Bar n’ait pas encore déposé de demande de dédommagement. Convaincu que nous étions revenus à la raison, il nous confie notre mission du jour: le déchargement des pastèques sur le marché d'Obor, le plus grand marché de la ville. Nous y sommes accueillis par Martin, blond, haut et maigre, le prototype de l'officier SS que l'on voit dans les films sur la Seconde Guerre mondiale. C'est un petit bureaucrate de l'organisation du Parti de la ville, mais il se pavane devant nous comme s'il était au moins chef de cabinet d'un ministre, voire le ministre lui-même. Pour nous impressionner, il se vante d'être un pratiquant de longue date des arts martiaux. Il se met même à faire des mouvements qu'il croit être du karaté. Mission accomplie! Il a réussi à gagner notre intérêt. Mais c'est uniquement pour s’amuser de lui et de ses mouvements évoquant ceux d'un singe sous amphétamine.

Pendant le stage agricole, les lycéens étaient souvent envoyés pour participer à la récolte des melons.
Pendant le stage agricole, les lycéens étaient souvent envoyés pour participer à la récolte des melons.

Cinquième journée: honneur aux filles!

Un énorme camion rempli de pastèques se gare devant nous. Martin nous demande de former une chaîne humaine et de passer les pastèques d'un à l'autre, du camion jusqu’au site de dépôt. C'est évidemment la meilleure méthode pour vider le camion, mais elle ne convient absolument pas à nos plans. Les filles protestent en déclarant que les pastèques sont trop lourdes pour elles. Nous proposons donc que les garçons transportent les pastèques du camion jusqu’au site de dépôt et que les filles les y rangent en pyramides. Martin exprime quelques doutes, mais les filles insistent pour que ce soit les garçons qui s'en chargent. Selon elles, les porter est trop difficile. Martin nous surveille donc étroitement pendant les 30 minutes suivantes, et tout se passe à merveille pour les garçons. Malheureusement (hi, hi, hi), sur le site de dépôt, nos collègues font preuve d'une maladresse incroyable et n'arrivent pas à les empiler correctement. Il nous demande alors de continuer comme jusqu'à maintenant et part aider les filles. Il n'est pas question pour lui de rater l’occasion de se pavaner devant elles.

Cette activité était, cependant, bien plus qu'un simple exercice de travail physique; c'était une "affaire sucrée".
Cette activité était, cependant, bien plus qu'un simple exercice de travail physique; c'était une "affaire sucrée".

Cinquième journée: les pastèques "volantes"

Une fois Martin parti, nous commençons à faire des passes entre nous avec les pastèques, comme avec un ballon de handball ou de basket. En d'autres termes, nous les lançons d'un à l'autre au lieu de les transmettre d'une main à l'autre. Et les pastèques commencent à voler gracieusement dans les airs. Pendant ce temps, George et moi nous occupons de le faire sortir du camion en le lançant vers le couple le plus fort, Bala-Iulian, qui sont les plus solides d'entre nous. Malheureusement, nous sommes tous si maladroits que les passes manquent leur cible la plupart du temps. Dans ces cas-là, la loi de la gravitation fait son travail et les pastèques tombent par terre et se cassent avec des "Splash" très sympa. Plus tard, nous les jetons simplement par terre dans l'espoir d'obtenir des "splash" de plus en plus spectaculaires. Et c'est ainsi que les pastèques se transforment en OVI (objets volants identifiables). Et quand Martin réalise qu’il y a quelque chose qui ne marche pas et vient voir ce qu'il se passe, il reste atterré, au bord d’un AVC. Il regarde, sans pouvoir articuler le moindre mot, le sol autour du camion jonché de morceaux de pastèque, tandis que des rivières rouges s'écoulent doucement vers les bouches des canalisations. "Désolé, camarade Martin, nous étions maladroites et nous avons fait tomber quelques pastèques", lui dis-je avec un air innocent. Mais il se met à nous crier dessus et à nous accuser de sabotage. Il part en nous menaçant de revenir avec les forces de l'ordre pour nous dresser un dossier pénal. Il part, nous partons aussi, chacun avec une pastèque sur l'épaule. Chacun sauf George qui part avec deux pastèques et pas de petites. Je plaisante gentiment avec lui en lui disant qu'il aura des bras d'orang-outan s'il veut les porter jusqu'à la maison. Mais George s'arrête sur le marché pour les vendre. De loin, je regarde en direction du camion et je vois Martin qui regagne les lieux en compagnie de deux policiers, chacun avec une belle ventre à bière. Il gesticule frénétiquement pour indiquer l'ampleur des dégâts. Eux, ils semblent s'en fiche éperdument et regardent autour d'eux s'il y a une terrasse où ils pourraient savourer une bière fraîche. Ce qui devient de plus en plus nécessaire à leur avis, car le soleil d'été brille fort.

Les élèves plus jeunes cueillaient des plantes médicinales ou des châtaignes.
Les élèves plus jeunes cueillaient des plantes médicinales ou des châtaignes.

Licenciement pour faute grave

Samedi matin, nous nous retrouvons au point de rassemblement habituel devant le lycée. Nous y restons deux heures avant d'être rejoints par le proviseur. Quand il finit par arriver, il est très remonté contre nous. Il commence par nous accuser d'être des "rebuts de la société". Des "pauvres gens qui ne méritent pas de vivre dans le meilleur pays du monde". Nous sommes coupables de trahison envers le Parti Communiste Roumain et son dirigeant, le Camarade Dictateur Ceausescu. Il enchaîne ensuite avec une liste interminable d'autres mots dans le même registre. Nos sourires étaient tellement larges que nous risquions de nous faire mal aux joues. Et pour finir, le meilleur: nous avons été remerciés pour des fautes graves et répétées. Nous n'aurons donc plus le droit de participer aux "travaux agricoles". Une fois le jugement rendu, il nous a tourné le dos et est parti sans jeter un regard derrière lui. Il ne nous a donc pas vus quand nous avons failli nous luxer les bras et casser les os à cause de toutes les accolades et tapes dans le dos. En partant, nous sommes passés par le Pati-Bar pour acheter des pâtisseries, puis nous avons chanté "We are the champions" en nous rendant plus loin. De temps en temps, nous lançons notre cri de guerre : "11 J, 11 J, cei mai tari din L.M.V." (traduction : notre classe avec la matricule 11 J est la plus forte de tout le lycée Michael le Brave).

Épilogue: la punition

Pendant les quatre années du lycée, George et moi avons fait fi des "valeurs communistes" que la direction de l'établissement, les professeurs et d'autres personnes ont tenté de nous inculquer. La punition a été décrétée au début du mois de juillet 1989, à la fin de nos études: nous allions travailler dans les mines de charbon du Valea Jiului. Il s'agissait du pire type de travail que l'on pouvait trouver dans la Roumanie de l'époque. Refuser n’était pas une option viable, car nous aurions été emprisonnés. Toutefois, nous avons manœuvré pour retarder le moment d'y être envoyés. Seulement quelques semaines, le temps d'arriver au début du mois de septembre, quand nous commencerions le service militaire obligatoire. Quelques mois plus tard, en Décembre 1989, la Révolution roumaine a fait tomber le régime du Camarade Dictateur Ceaușescu. Nos amis rockers et karatekas se sont retrouvés dans les premiers rangs.


Annexe : textes de propagande de l'ère communiste

Texte 1: Instructions du Camarade Dictateur Ceaușescu, transmise en août 1971

"Je demande aux premiers secrétaires (à l'époque, le premier secrétaire était l'équivalent de préfet) de mobiliser toutes leurs forces pour récolter le grain à temps, et si possible sans perte. Nous apprécierons le travail de chaque comité départemental et de chaque organisation du parti selon la manière dont ils agiront pour récolter la totalité de la récolte dans de bonnes conditions et dans leur intégralité."

La rencontre de 1971 entre Nicolae Ceaușescu, le leader communiste de la Roumanie, et Mao Zedong, le célèbre leader de la Chine communiste, a été un moment significatif dans le contexte géopolitique de cette époque.
La rencontre de 1971 entre Nicolae Ceaușescu, le leader communiste de la Roumanie, et Mao Zedong, le célèbre leader de la Chine communiste, a été un moment significatif dans le contexte géopolitique de cette époque.

Texte 2: Reportage télévisé de propagande communiste sur le volontariat, 1982

"Alors, en route pour le train 8003, qui est devenu au cours de cette agréable matinée d'été une petite institution d'enseignement supérieur. Les futurs philologues, économistes, constructeurs, enseignants, métallurgistes et autres brigadiers se dirigent vers les champs fertiles des fermes du Baragan et de la Dobrogea, où le grain mûrit dans la brûlure des amandes, où les rayons du soleil sont piégés dans chaque grain, dans chaque épi, dans chaque fruit."

Voici une affiche inspirée par le thème de la propagande communiste vintage, avec le message "Remettons à temps et avec amour la cotisation à l'État".
Voici une affiche inspirée par le thème de la propagande communiste vintage, avec le message "Remettons à temps et avec amour la cotisation à l'État".

Texte 3: extrait d'une interview d'un élève de sixième année, publiée dans Scânteia, le journal du Parti communiste roumain.

"Nous n'avons pas été accueillis ici avec du champagne et des fleurs, mais avec une poignée de main chaleureuse de la part de la direction de l'IAS (entreprise agricole d'État), ce qui a beaucoup plus de valeur à nos yeux que du champagne et des fleurs. Après ces deux semaines de travail, le directeur de l'IAS nous a promis un voyage de deux semaines, mais ce n'est pas la raison pour laquelle nous nous donnons à fond. Ce qui compte, c'est l'énorme somme que nous allons gagner ici après ce labeur intense. Ce que nous faisons ici a un but particulier. Quand tout le pays est en train de construire et de reconstruire, nous ne devons pas non plus rester inactifs.".

Scînteia a fost organul de presă al Partidului Comunist Român, până la căderea lui Ceaușescu în decembrie 1989.
Scînteia a fost organul de presă al Partidului Comunist Român, până la căderea lui Ceaușescu în decembrie 1989.

Texte 4 : Extrait d'une interview d'une jeune fille, en première, publiée dans Scânteia Tineretului, le journal de l'Union de la Jeunesse Communiste roumaine.

"J'aime beaucoup le métier de métallurgiste, non seulement parce que mon père travaille à l'usine de notre ville, mais aussi parce que les cours dispensés par notre camarade professeur nous plongent vraiment dans l'univers de la fonte et de l'acier, et nous permettent de percer les mystères des processus technologiques qui permettent au métal d'obéir à la main de l'homme et à son habileté."

Scânteia Tineretului était un quotidien, l'organe de presse de l'Union de la Jeunesse Communiste, avant la Révolution roumaine de 1989.
Scânteia Tineretului était un quotidien, l'organe de presse de l'Union de la Jeunesse Communiste, avant la Révolution roumaine de 1989.

Texte 5: poèmes récités à la télévision par un enfant de maternelle (premier) et un élève de troisième année (deuxième).

"Je serai bâtisseur, sur un grand échafaudage, pour réaliser le souhait de ma mère.

Nous avons visité les grands jardins d'enfants, les grandes entreprises et les grands chantiers. Et puis nous avons construit Buzaul en 2000 ans avec des cubes".

"Et en allant à l'école, je veux me faire pousser des ailes et comprendre les choses.

J'efface le vieux qui a laissé le travail, le travail, le travail d'une année entière prendre sa place."


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